Territorialisation & urbanisation : les enjeux de l’espace au quotidien | 27/11/2067 | Space’ibles 2017

Cet article rend compte de l’un des thèmes issu des travaux de Space’ibles pour l’année 2017, l’Observatoire de Prospective Spatiale, à initiative du CNES. Avec les trois autres articles qui portent eux aussi la mention « Space’ibles 2017 », ils forment le rapport d’activité de la première année d’existence de l’observatoire, présenté en convention, à Lyon, les 7 et 8 novembre. Ces quatre articles ne sont pas des prises de position définitives mais des appels au dialogue, documents « martyres » sur lesquels construire les prochaines réflexions.


 

Article conçu en collaboration avec Space’ibles, l’Observatoire de Prospective Spatiale, initiative du CNES.


 

Que faut-il pour vivre dans l’espace ? Dès le milieu du XXe siècle, chacun savait dire de l’espace qu’il était froid, très froid… et sans atmosphère. Quand on se plaçait hors d’un corps céleste comme la Lune, on pouvait ajouter :  l’espace est sans gravité, sans la pesanteur qui maintient les objets et les personnes sur le plancher de l’endroit où l’on se trouve. Alors, la première réponse que chacun savait donner à la question du vivre dans l’espace était : de l’air, de l’eau, de la gravité… La vie ! Un vrai slogan de publicité (pour une eau gazeuse à la bouteille verte et rebondie…) !

Une étude un peu plus attentive du milieu spatial nous apprit vite que celui-ci présentait un risque majeur et invisible pour la vie sous toutes ses formes. Ainsi, quand le voyageur de l’espace sort de la protection de l’atmosphère terrestre et plus encore quand il s’aventure au-delà de la magnétosphère de notre planète, notre voyageur subit une grave pollution : celle des rayons cosmiques. On pourrait y ajouter les particules à haute énergie en provenance du Soleil quand celui-ci entre en forte activité, les mêmes particules qui nous offrent les magnifiques aurores boréales terrestres. Donc, à notre liste, il faut ajouter : une protection anti-radiation… Là, on a quitté l’énumération à la Prévert. On entre dans le dur de la science… Plus question de slogan publicitaire !

Sans rentrer dans des détails trop techniques, il se présentait deux alternatives aux architectes des stations spatiales et des vaisseaux qui allaient assurer les liaisons entre la Terre et ses dominions outre-espace : un blindage physique, autrement dit des parois de plomb épaisses, ou un bouclier électromagnétique, comme la Terre en possède un : la magnétosphère. Malgré la difficulté de développement et de mise au point ainsi que la sur-consommation énergétique substantielle que représentait ce choix, c’est la deuxième alternative qui a été choisie : elle permettait des constructions plus légères. A la contrainte du matériau, a été choisi la contrainte énergétique. Les dernières améliorations en matière de production énergétique, renouvelable ou non, ont aussi aider à faire pencher la balance en faveur du bouclier électromagnétique, d’une magnétosphère artificielle…

Cet écueil technologique passé, notre liste initiale reprit toute sa valeur. Tant et si bien qu’aujourd’hui, quand on considère l’ensemble de la population qui a quitté le plancher des vaches terrestre, plusieurs dizaines de milliers de femmes et d’hommes, on s’aperçoit rapidement que plus aucun organisme n’est capable de faire un recensement exhaustif des personnes qui vivent, travaillent, sont en transit de départ ou d’arrivée, en provenance de Mars, de la ceinture d’astéroïdes, de l’une ou l’autre des stations spatiales, que celle-ci soit en orbite de la Terre, de la Lune ou située à un des points Lagrange des couples Terre-Soleil ou Lune-Terre… Les domaines spatiaux sont devenus attractifs. Ils attirent aussi leurs migrants et autre passagers clandestins malgré les risques encourus ; dans l’espace, on ne vous entend pas crier…

Ainsi, en 2067, il faut reprendre notre liste qui tente toujours de répondre au mieux à la question « que faut-il pour vivre dans l’espace ? »

Ainsi, à notre liste, il faut ajouter… tout ce que n’importe quel urbaniste terrien aurait recensé si on lui demandait de construire une ville ex-nihilo, peu importe l’environnement qu’on lui impose : des infrastructures et les supply chain de soutiens de vie (énergie, atmosphère— sur Terre, on aurait parlé de climatisation — eau et aliments), les structures de santé, celles de retraitement et de valorisation des déchets (dans l’espace, tout est recyclable, valorisable et redevient matière première d’une manière ou d’une autre…), les infrastructures de loisirs… en considérant les divertissements des habitants-travailleurs de l’espace indépendamment du tourisme spatial : les individus qui vivent outre-espace ont tout autant besoin de se détendre que n’importe quelle autre personne, d’oublier, autant que faire se peut que, au-delà de la coque à l’intérieur de laquelle ils marchent, c’est une mort quasi immédiate qui attend tout imprudent : le froid, le vide — imparable comme couple — sans pour autant être obligé de se mêler à des touristes qui n’ont aucun intérêt pour les contraintes de la vie dans l’espace… Donc, notre urbaniste — ils ont finalement été légions à se pencher sur ces problématiques nouvelles — a intégré les loisirs aux structures-mêmes de la Cité Spatiale qu’il a eu la charge de bâtir…

À cet ensemble, notre urbaniste a ajouté des zones industrielles mises à la disposition des entrepreneurs qui font la queue pour investir dans les zones franches, zones d’activité dérégulées pour un certain nombre d’années, par le législateur onusien, avec l’accord des nations participants à la conquête spatiale.

Historiquement, ces activités professionnelles ont d’abord été spatio-portuaires, avant qu’une généralisation des activités de production industrielle ne s’installent outre-Terre. Le contrat était clair : il fallait apporter à la Terre les produits qu’elle ne pouvait pas fabriquer sur son sol. Le défis a été relevé : chimie des matériaux, bio-chimie, minerais « ceinturiens » et métallurgie micro-gravitationnelle, micro et nano électronique… ont apporté à la Terre les richesses qui justifièrent les efforts consentis par les nations et les investisseurs terriens. Des produits superflus ont aussi envahi la Terre : ne serait-ce que des plantes ayant poussé en microgravité ce qui leur donne les formes les plus inattendues. Pas vraiment indispensables… mais, tant qu’il y a une clientèle. Ainsi, une denrée qui retourne dans le puits gravitationnel terrestre, ça ne représente pas un trop grand surcoût pour l’importateur alors que le label « Grown is Space » lui est très vendeur !

Finalement, la réussite de l’arrivée de l’humanité au-delà de son environnement naturel a dépendu de compétences humaines bien terriennes. Car, indépendamment du caractère exceptionnellement hostile de l’environnement qui s’offrait à l’humanité, il s’agissait bien de construire une cité. Le défi aurait sûrement plu à un Le Corbusier. Qu’aurait-il imaginé comme Cité Radieuse outre-Terre ? Et des 60% de métiers nouveaux ou modifiés annoncés au-delà de la moitié de ce siècle, beaucoup l’ont été grâce aux activités spatiales… Alors, bien qu’il reste certains risques d’une opposition entre terriens — vivants dans un environnement optimum pour la nature humaine mais prisonniers du puits gravitationnel de leur planète-mère — et spaciens — libres de la contrainte gravitationnelle mais soumis aux conséquences de ce même environnement qui impose des conditions de vie en faible gravité centrifuge ou liée à la taille réduite des corps célestes qui les accueillent — la création et le développement de la Cité de l’Espace reste une œuvre éminemment humaine, qui doit rassembler les membres de l’Humanité et non les opposer.

Liens vers les trois autres articles :

“Lien vers le pdf du magazine « numéro spécial Space’ibles » de FuturHebdo avec l’ensemble des articles produits à l’occasion de l’inauguration de Space’ibles, l’Observatoire de la Prospective Spatiale, à l’initiative du CNES.”

26 nov. 2017