Et si, collectivement, on décidait qu’un cycle se terminait ? Et si on recommençait à croire en demain et, par là même, on recommençait à construire notre avenir ?
Depuis la fin des “30 glorieuses”, il est commun de dire que si demain n’est pas mort, il est improbable. Quand ce n’est pas le chômage qui devient de masse, c’est l’hiver qui menace d’être nucléaire ou la guerre froide… Ce sont ensuite les crises économiques, climatiques, migratoires, sanitaires, systémiques qui s’enchaînent… jusqu’à la crise… de panique ! Aujourd’hui, ce sont au moins deux générations à avoir été élevées au pessimisme et au nihilisme. Sous couvert de “pragmatisme”, ces prédictions sont des freins : freins à l’espoir, freins aux projets, freins à l’envie, freins à la vie ! Si toutes ces prévisions ne sont pas forcément mensongères, elle n’en sont pas moins fausses. Elles ne sont pas LE futur, elles n’en sont qu’une éventualité, parmi d’autres. Et si nous envisageons le pire, c’est pour nous y préparer… Et pourtant ne sommes-nous pas en train de créer des prévisions auto-réalisatrices ?
Mais nous est-il possible d’agir pour construire un avenir, alors que nous nous complaisons à n’envisager l’apocalypse ? Si nous voulons construire demain, “L’espérance est un risque à courir”, comme le dit Georges Bernanos.
Jusque dans les années 70, les sociétés occidentales, droguées au progrès, semblaient assurées que demain serait toujours mieux qu’hier. Elles produisaient une population sûre d’elle-même et de son avenir, sûre des promesses radieuses de la réussite capitaliste, ou des lendemains communistes qui chantent. Même lorsque les guerres se déclaraient et qu’elles se révélaient mondiales, chacune était annoncée comme la dernière guerre… la der des der… Nos enfants vivraient mieux que nous, les sciences assurant, pour tous, une vie plus heureuse. Alors, quand survint la crise pétrolière de 1974, toutes ces promesses semblèrent s’évaporer. La machine économique se grippa, les états s’endettèrent pour ne pas admettre que c’était la fin d’un cycle, la fin d’un modèle. Les tensions géopolitiques et économiques se cristallisèrent.
Et si les projections de l’avenir qui avaient été faites s’effondraient, se démentaient, fallait-il pour autant croire en la noirceur des augures angoissés ? Et le faut-il d’avantage aujourd’hui ? Symbole des états de l’âme de la société de cette période, la musique marqua fortement ce virage avec, d’un coté, l’émergence des hippies campés sur un carpe diem béat qui rêvaient d’améliorer le monde sans même essayer d’y parvenir, et de l’autre, les punks — No Future — pour qui l’avenir était déjà perdu… et quand à la fin du siècle dernier, le “Bloc de l’Est” est tombé, laissant croire que le communisme était mort, ce n’est pas que le capitalisme ait gagné, non ! Ce furent les Punks, les vrais vainqueurs. No Future !
Le mouvement punk est devenu l’idéologie dominante. Le capitalisme, qui investissait sur la durée pour faire d’une petite entreprise une grande société, est devenu le libéralisme, affamé de rentabilité instantanée, immédiate… No Future !
Quand à la sphère publique, l’état endetté, n’investit plus qu’à la marge : plus d’infrastructures lourdes, et pour ainsi dire plus de recherche fondamentale… No Future !
Les citoyens ne croient plus que les idées puissent changer le monde et votent pour leur intérêt personnel et immédiat… après moi le déluge. No Future !
On peut continuer à reprocher aux générations montantes leur manque d’envie, d’enthousiasme, de rêve… On peut regretter que “les jeunes” n’osent plus les prises de risques. On peut les assommer de formules à l’emporte pièce : “De mon temps, on y croyait”…” “De mon temps, on se donnait les moyens…”, “De mon temps, on osait !”
Oui mais… “de mon temps”, on parlait de croissance, d’avenir, de progrès. On voulait construire un monde meilleur et que les progrès de la médecine, des sciences et même l’inflation nous feraient vivre toujours mieux !
Aujourd’hui l’avenir semble promis aux drames, à la destruction des emplois par la rentabilité, les crises, l’Intelligence artificielle et les robots. On ne voit l’ascenseur social ne fonctionner que vers le bas et les inégalités sociales sont vécue comme une fatalité : la santé coûte trop cher, l’État ne peux plus rien et le climat nous promet le pire… Demandez autour de vous. Comment les gens imaginent-ils le monde dans quelques années ? Comment ils se projettent, et ce qu’ils espèrent… Ils vous dresseront un tableau digne des meilleurs films catastrophe.
Et pourtant… Pourtant, l’avenir n’est pas écrit, et qu’il soit bien ou mal, il existera.
Alors, oui ! C’est certain, le monde de 2050 sera sans doute un monde très différent de celui que nous connaissons, et pour autant, tellement similaire : les gens n’y seront pas si différents… puisque nous serons ces gens : la plupart d’entre nous vivra en 2050. Alors si la société et les usages vont changer, ils nous appartient à nous tous de les faire évoluer : ce seront nos sociétés et nos usages. Ne serait-il pas temps de sortir collectivement de cette torpeur, de ce pessimisme teinté de fatalisme…
Quoiqu’il en soit, il nous faut construire l’avenir avec pour seule certitude le fait de savoir que, même si nous ne nous y engageons pas, nous n’arrêterons pas le temps. Juste, nous ne l’influerons pas, nous ne participerons pas aux inflexions de sa courbe.
Alors il est temps que nous adhérions à un nouveau Credo ! Il est temps que nous nous engagions à fabriquer notre avenir, que nous revendiquions cet acte en choisissant dans les multiples éventualités qui s’offrent à nous, ce nous souhaitons comme avenir pour nous-mêmes et les générations à venir, et qu’enfin nous recommencions à nous enthousiasmer pour le futur, pour un futur qui nous promet bien plus que nous ne pouvons l’imaginer. Croyons en demain et construisons-le avec passion, envie, énergie, impatience et conviction. Nous allons imaginer l’avenir et nous atteler à le modeler selon notre imagination et nos rêves. Nous allons devenir ambitieux, pour nous-même, nos enfants et nos sociétés. “No Future” est un mensonge, car futur il y aura. Et si nous en sommes collectivement responsables, nous en sommes individuellement responsables.
Nous faisons de la prospective justement pour voir ces avenirs, pour dépasser nos angoisses, pour être les architectes de nos désirs.
Alors n’y a-t-il pas de meilleure option que d’envisager les pires scénarios ?
Ne devrions nous pas faire mieux que de tenter d’éviter le pire, ou, plus commun encore, ne rien faire en espérant que le pire choisisse de lui même de nous éviter ? (Bien qu’il y ai de forte chance que la loi de Murphy nous fasse mentir !)
Ne serait il pas préférable de réver tous les futurs possibles, définir ceux qui pourraient être un avenir, et travailler à transformer ceux que nous voulons en demain ?
Et si c’était précisément l’objet de la prospective ?