Idées | L’influence, la civilisation, le cholestérol et Shéhérazade

L’influence est civilisatrice, Shéhérazade aussi.

L’influence c’est ce qui nous surplombe et nous observe, nous guette et nous prend au dépourvu. C’est la matière brute de la civilisation. Pour le pire et le meilleur. C’est l’histoire du bon grain et de l’ivraie.

L’influence est civilisatrice. C’est comme le cholestérol

Il y a le bon :

Depuis la nuit des temps elle crée de la matière culturelle. Son économie fonde la vie en société. Elle façonne les convictions qui fabriquent des comportements qui produisent de la conformité. La conformité ce sont les règles du jeu qui produisent un environnement culturel : de l’affinité,  de la ressemblance, de la cohésion. Si vous êtes en conformité, c’est que vous avez passé l’examen de reconnaissance publique. Vous êtes certifié conforme. Vous êtes habilité à faire partie de votre environnement. Bref vous fabriquez du civilisé. Merci Aristote qui fonde les bases de La Rhétorique. Cicéron (in www.unige.ch ) lui attribue un rôle central dans la vie du citoyen romain. Celui-ci est en effet appelé à s’exprimer efficacement en matière politique, juridique ou économique. Quel que soit le sujet abordé au forum, autrement dit sur la place publique, le citoyen romain parfait doit donc toujours pouvoir exprimer son point de vue et, autant que possible, le faire partager aux autres. La rhétorique lui donne précisément les moyens de s’exprimer efficacement. Elle s’étend plus généralement à l’art de persuader, d’influencer le destinataire du message par toutes sortes de techniques, verbales et non verbales.

L’influence, elle vous saute aux yeux quand vous visitez Le Louvre. Chaque siècle, chaque culture a ses salles qui ont chacune une identité « influencée » par l’air de leur temps, leur ZeitGeist. De toutes façons vous ne pouvez pas faire autrement. Warhol, ça n’aurait pas marché sous Louis XIV. L’influence esthétique suggère l’imitation d’une œuvre ou d’un style par un admirateur, ou du moins la reprise de thèmes et codes d’un auteur ou d’une école. Influencer, c’est être admiré ou imité.

Dans la pensée chinoise, l’influence, c’est une vision générale des relations humaines, une pensée de l’opportunité, de l’efficacité et de l’incitation (in www.huyghe.fr,) . Gérard Klein, écrivain, anthologiste, économiste, prospectiviste, théoricien pose la question : “Un être humain isolé peut-il penser ?”. Il y répond par la négative : pour penser, un être humain doit posséder le langage. Le cerveau apprend le langage en recevant des informations de son environnement et de son groupe social. Les sources “extraordinairement multiples” qui nourrissent le cerveau sont émises par ce que Gérard Klein appelle les “subjectivités collectives” et qui, elles-mêmes, naissent des relations qui structurent le groupe social. La conscience, la pensée n’est possible que parce “chacun de nous est un ensemble de subjectivités collectives” (in http://www.peiresc.org/, séminaires fréquentés par l’auteur ). L’influence sociale fabrique de l’imitation et de la conformité autour d’un projet collectif. L’influence génère un vivre ensemble, une culture, une civilisation.

L’influence est aujourd’hui considérée comme la caractéristique des sociétés contemporaines: fabriquer du spectacle, du pouvoir, de la sidération, du désir.

Le mythe de l’éternelle jeunesse, le mythe de la performance sexuelle, le mythe de l’amour romantique, le mythe de la puissance automobile et celui de l’harmonie sociale… James Bond, Barbie, les motos Harley Davidson sont autant de récits qui véhiculent des idéaux sociétaux et influencent les us et coutumes.

Ce fut aussi le rôle des mythes qui transmettaient la compréhension antique du monde. Rien de nouveau sous le soleil.

 

Il y a le mauvais :

Le conformisme. C’est quand cette conformité devient dictatoriale. L’influence a toujours été considérée, par ses détracteurs, comme une technique de «manipulation». Aujourd’hui la rhétorique a plutôt mauvaise réputation.  Elle est synonyme d’hypocrisie, de mauvaise foi.

On s’en méfie au motif qu’on estime ne pas devoir se laisser dicter nos pensées et nos actes. L’individualisme triomphant fils de la Renaissance  et des Lumières ne veut pas se soumettre à l’influence des autres. La révolution romantique entérinera les valeurs de spontanéité et de sincérité. Le conformiste s’est laissé berné par les influenceurs. Il a perdu pied. Le conformiste est le grand manipulé, noyé dans des tsunamis d’influences. Mais qui lui jettera la pierre ? On a tous une influence qui s’empare de nous à un moment ou un autre.

 

Il y a le pire :

Cortes débarque au Mexique en 1521 avec sa politique de table rase des croyances indigènes. Les Missions débarquent dans les mondes nouveaux, la colonisation bat son plein.

Influencer c’est massacrer les croyances et les humains.

Les mythes complotistes fabriquent de la haine sociale. Massacre du bon sens. Les théories du complot font le lit des tyrannies. Torquemada et l’Inquisition, Daech et ses couteaux… leur évocation décourage l’idée même d’utiliser le mot influence qu’on leur accole.

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Les Grecs ont ouvert la voie aux premières techniques d’action sur le psychisme humain. Après eux propagandistes, publicitaires et autres manipulateurs ont cherché à reproduire à l’usage des foules et avec des moyens de masses ce que les orateurs athéniens faisaient à des individus en face à face. Il existe une tradition intellectuelle grecque de la ruse (la métis), avec une foule d’exemples que nous appellerions aujourd’hui de désinformation, d’intoxication, d’action psychologique…(in www.huyghe.fr, )

Une seconde ! Cette lecture pessimiste et désabusée de l’influence est un peu courte.

Le Conte du Graal de Chrétien de Troye?

Werther de Goethe ?

René  de Chateaubriand ?

Ivanhoé  de Walter Scott ?

Autant d’œuvres « influentes » qui ont radicalement « informé » leur temps, et bouleversé les cœurs et les mœurs.

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Il faut repenser la métis et convoquer à nouveau la déesse. Métis est la personnification de la sagesse et de l’intelligence rusée. Pas si mauvaise fille que ça. La ruse sera notre meilleure alliée. Avec la physique quantique et l’astrologie pour témoins. La physique quantique parce que c’est le récit mythique des temps à venir. L’astrologie parce que la pensée magique fait son retour.

En physique quantique, http://www.inrees.com/articles/Esprit-matiere/ on avance que les caractéristiques de l’objet réel ne «naissent» qu’une fois réalisées les mesures permettant de les mettre en évidence. Autrement dit, l’objet réel reste suspendu dans un flou de potentialités tant que personne n’a décidé de le voir, le toucher, le mesurer. Et s’il en était de même avec les influences ? Et si l’on était plus malin qu’elles ? Et si on laissait passer la caravane des mythes sulfureux et délétères pour ne laisser advenir que ceux qui sauvent le monde ? La balle est dans notre camp pour décider des influences et des légendes qui vont faire le job.

En astrologie, étymologiquement, influence renvoie au fluxus, cet influx invisible qui était censé descendre des étoiles et changer le destin de chacun, du moins c’est ce que l’on croyait au XVII° siècle, quand le mot influence apparaît dans notre langue. (in www.huyghe.fr, blog décidément inspirant).  Le cosmos, les étoiles, offrent tous les jours des surprises sidérantes qui semblent remettre en selle la pensée magique antique. L’influence des astres sur nos comportements ne serait pas une pensée si absurde. Certes, il faut ruser et naviguer entre charlatanisme, fictions et réalités à découvrir. Mais aussi admettre que le poids des puissances symboliques et des imaginaires sociaux – le légendaire au cœur des influences qui font une civilisation –  sera la clef de notre destin.

 

Et nous pourrons écouter Shéhérazade raconter mille et une nuit les histoires qui endorment le sultan pour qu’il se réveille apaisé et qu’il renonce à ses massacres.
(une première version de ce texte est paru dans INfluencia)

15 févr. 2016