Envoyer des hommes sur la lune, à une époque technologiquement préhistorique, était un exploit inouï. Les ordinateurs étaient encore des sortes de calculatrices géantes, le numérique n’existait pas, l’observation lunaire était faite au moyen de télescopes et de divination, les fusées étaient en gros celles conçues vingt-cinq ans plus tôt par Werner von Braun.
« Le V2 n’est pas seulement le précurseur des missiles à long rayon d’action. Il a aussi contribué largement au développement des fusées qui sont aujourd’hui l’instrument de la conquête pacifique de l’espace » (interview en français de WVB par Radio-Canada en 1965).
Il a fallu beaucoup de calculs, beaucoup de moyens, beaucoup de courage et beaucoup de chance pour faire prendre pied à deux hommes sur le sol friable de notre satellite.
Mais la lune n’était pas un but en soi, n’avait jamais été le but. Qui se souciait vraiment de « conquérir la lune », comme une colonie particulièrement désertique et incommode ? Une escale ? Même pas. Le rôle mythologique qu’on a fait jouer à la lune ne relevait pas d’une persistance quelconque de l’antiquité grecque (Séléné ! Séléné !), mais des romans d’anticipation du xixe siècle : ceux de Wells et de Jules Verne.
On a conquis la lune pour tester des outils, en vue d’une conquête de l’espace. On ne pensait pas que c’était une utopie. Tout semblait indiquer que c’était une projection du réel. L’essentiel était de faire un premier pas dans les étoiles. La redistribution de l’espèce humaine sur l’échiquier à trois dimensions de la galaxie s’ensuivrait : certes, à long terme, à très long terme, mais l’avenir venait enfin de commencer.
La vie a eu ainsi une face cachée, comme la lune, qu’on s’apprêtait à conquérir l’été de mes quinze ans. Et je me souviens des images d’une fusée s’arrachant au ralenti à son derrick de Floride, pour viser la cible transparente sertie dans le ciel. Mon humble destin d’enfant et la grande aventure spatiale qui s’amorçait avaient partie liée. Du succès de la fusée dépendait mon salut personnel.
Et la lune a eu lieu, comme un amour comblé.
Puis, l’immense télescope des jours de conquête s’est détourné de son champ d’action. L’infiniment grand s’est transformé en infiniment petit. Les étoiles sont rentrées dans ce silence éternel qui effrayait Blaise Pascal. La technologie avait fait un bond fantastique, on envoyait des navettes dans le ciel et des sondes sur Mars. Mais la terre était redevenue la seule cible. La lune n’était plus que le régulateur de ses marées.
Cinquante ans plus tard on commence à se réintéresser à la lune, on va examiner, de l’autre côté de son décor, sa face cachée. Que la Chine ait pris le relais des USA n’est pas vraiment une surprise : elle seule est vraiment sous pression. Mais ce n’est plus un pur projet spatial. L’enjeu est de réorganiser la biosphère de la terre, pour hâter la prééminence d’un peuple sur les autres peuples dispersés. L’espace et la conquête des étoiles ont quitté le terrain du désir collectif. Ils y reviendront un jour. En attendant, l’avenir est à nouveau strictement lié au destin d’une minuscule planète en péril.