Initié par François Laurent, co-président de l’ADETEM, le think tank Les Mardis du Luxembourg regroupe des professionnels de plusieurs secteurs, passionnés par leurs domaines respectifs : avocats, philosophes, prospectivistes, mythanalystes, experts du marketing et de la communication, artistes…
Dans la plus grande liberté de débat et de désaccord, ils se sont donnés pour tâche l’analyse de la société sous toutes ses formes en croisant les angles de lecture.
Après la notion de disruption (Rupture, vous avez disrupture ? Éditions Kawa, 2015) et la vie privée à l’heure de l’hyper connexion (Chroniques de l’intimité connectée, Editions Kawa, 2016), l’autorité est l’objet des récentes réflexions des Mardis du Luxembourg…
Une brève histoire d’autorité…
Début des années 60, sous les lambris trois centenaires de la Royal Society of London for the Improvement of Natural Knowledge – excusez du peu ! – le très respecté Fred Hoyle disserte sur son sujet de prédilection, à savoir l’état stationnaire de notre l’univers – pas de début, pas de fin, un immense continuum …
Celui qui recevra quelques années plus tard la « Médaille d’or » de la Royal Astronomical Society, fait l’objet d’un très respectueuse écoute quand du fond de la salle une voix s’élève : « Vous vous trompez ! ».
Fred Hoyle fusille l’impertinent du regard : « Et pourquoi donc ? » ; la réponse du jeune Stephen Hawking fuse : « Parce que je l’ai calculé ».
Hawking aurait-il été Hawking sans Hoyle et les tenants de la « Théorie de l’état stationnaire » ? Certainement … mais pas de manière si fulgurante : il n’est pas de bonne tribune sans contradiction ; il est plus aisé de trouver sa voie quand une lumière balise le chemin inverse … plutôt que dans le noir absolu où l’on avance à tâtons.
Les poètes de la Pléiade, Ronsard et Du Bellay en tête, si respectés de nos jours, ne furent que des frondeurs, abusant de néologismes et d’archaïsmes – rompant avec la tradition poétique médiévale et une culture fondée sur une langue morte ou moribonde, le latin, pour imposer un Français rénové et enrichi.
Un siècle plus tard, François de Malherbe, considéré comme LE théoricien de l’art classique, s’imposa en … critiquant vertement ses prédécesseurs, les Ronsard et Du Bellay qui, sous prétexte de renouveler la langue française avaient boursoufflé le lexique d’une multitude d’hellénismes et autres barbarismes.
De Fred Hoyle et des poètes médiévaux à la Pléiade … bien sûr François de Malherbe et Stephen Hawking, toute autorité n’existe qu’en s’imposant sur les ruines d’une autorité qui la précède … avant de succomber sous les coups de boutoir d’une autorité en construction.
Une autorité établie ne présente d’autre légitimité – n’a d’autres raisons d’exister – que d’être terrassée par une force, une pensée, un art en pleine ascension … qui elle-même, arrivée au sommet, ne présentera d’autre utilité que de stimuler la réflexion et les coups de ceux qui chercheront à la détruire !
Quand Stephen Hawking lance à la figure de Fred Hoyle : « Vous vous trompez ! », son arme de destruction, c’est … une nouvelle information … que personne ou presque – mis à part son ami Roger Penrose – ne serait capable de vérifier et valider.
News, vous avez dit Fake News ?
Nous voici parvenus dans un monde où l’efficacité prime sur la vérité – ce n’est sans doute pas totalement nouveau, mais c’est vraiment devenu le leitmotiv de notre époque … une époque où les startups se rêvent en licornes et où tous les moyens sont bons pour y parvenir : cela a même un nom – le Growth Hacking, autrement dit, la bidouille érigée en stratégie d’entreprise.
Sur la toile, un seul mot d’ordre : émerger !
Pour apparaître en tête sur les moteurs de recherche, il faut qu’on parle de vous – c’est la base même de l’algorithme de Google, les liens entrants ; et pour qu’on parle vous, il faut que votre discours soit relayé, encore et toujours !
Or selon une étude du MIT publiée dans Science, une fausse information se répand six fois plus vite qu’une vraie – et ce n’est pas le fait des robots, mais des humains ! Alors – au non du sacro-saint principe d’efficacité – mieux vaut … mentir que raconter de vraies histoires.
Pas nouveau non plus sous le soleil, direz-vous : depuis longtemps les marques réécrivent leur histoire, on appelle ça le storytelling – les marques, les politiciens, les people, bref, tout un chacun.
La nouveauté, c’est qu’on ne cherche plus à embellir la mariée : on se contente de raconter un peu tout et son contraire – en préférant les infos compliquées à vérifiées … et vogue la galère !
Finalement, voici revenu le temps des bonimenteurs … mais à l’échelle planétaire !
Dernier épisode ou une autre histoire
Gabriel – 50 ans au compteur, je vous laisse vous projeter dans le futur, ce prénom était très « tendance » en 2018 – Gabriel donc aurait pu passer pour un quinqua heureux : à la tête de sa petite PME, il gagnait plutôt bien sa vie et côté cœur, il était également plutôt bien entouré.
Il y a déjà deux bonnes décennies, il avait fondé l’« Eglise du Mont des Oliviers » – en référence à la parabole de La femme adultère, Évangile selon Saint Jean et le célèbre : « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ».
L’époque s’y prêtait bien : car avec la montée en puissance de l’intelligence artificielle, les gens se sentaient un peu perdus, dépossédés d’eux-mêmes – pas facile à exprimer, en fait, mais ils avaient soudain besoin, non de religion, mais de spiritualité.
Remettre « quelque-chose » n’appartenant qu’à l’homme dans un monde de plus en plus dominé par les robots : et Dieu, les machines ne pourraient jamais se l’approprier !
Etaient apparues ça et là diverses sectes, aux succès très variés, mais toujours de taille modeste : des PME spirituelles qui fonctionnaient plutôt bien, un peu comme les clubs de gym au début du 21ème siècle – des coins où on se retrouvait entre amis pour échapper au stress quotidien.
Son concept à lui, Gabriel, était simple : il avait trouvé comment déculpabiliser pour ses ouailles le sexe libre … tout cela fondé sur une relecture de la fameuse parabole, une relecture qui aurait fait frémir n’importe quel clerc mais avait séduit suffisamment de ses concitoyens pour faire vivre sa petite église !
Pas de démonstrations compliquées et d’exégèses sophistiquées : il s’était contenté de clamer par monts et par vaux que Jésus pardonne toujours ; que son « Je ne te condamne pas » est éternel … et donc que multiplier les aventures ne peut que renforcer sa « Parole » – rien que ça !
Et ça marchait : ses temples étaient des lupanars … mais des lupanars religieux où l’on sauvait son âme en pratiquant l’amour libre – ce qui n’empêchait pas ses membres de mener par ailleurs une vie de famille très traditionnelle.
Evidemment, le Prêtre Suprême se devait de montrer la Voie – et donc son lit était toujours bien fréquenté : bref, tout aurait pu être pour le mieux dans le meilleur des mondes si …
S’il avait pu créer son petit business aussi facilement, il n’était pas le seul, loin de là – en fait, la période s’y prêtait : depuis l’élection de Donald Trump en 2016 et l’affaire Cambridge Analytica, les informations erronées pullulaient sur la toile et la suspicion était devenue générale.
En fait, tout le monde se méfiait de tout – et donc, se raccrochait à ce qui lui paraissait « le plus véridique » : impossible de discerner le vrai et faux, le blanc du noir … En fait tout était devenu gris, à la fois possible et suspect.
Une startup voulait lancer un produit miracle : elle s’inventait une maladie rare mais dangereuse et commercialisait – même pas à prix d’or, ce qui aurait pu entrainer des doutes – le remède adéquat.
Après tout l’industrie pharmaceutique américaine avait bien réussi à inventer le concept de « mauvais cholestérol » après la mort pour du président Eisenhower, terrassé par une crise cardiaque : certes son taux de cholestérol était particulièrement élevé, mais il fumait aussi deux paquets de cigarettes par jour … ce que les fabricants de storytelling négligeront un peu vite.
Alors dans sa vie personnelle, Gabriel – qui savait pertinemment que son discours sur la « femme adultère » n’était qu’une escroquerie – peinait comme tout un chacun à prendre des décisions importantes, toujours dans la crainte de souscrire à une fausse opinion et de se tromper.
Quand était apparue il y a une dizaine d’années la « maladie des chats » – qui n’était pas alors sans rappeler le Sida dans les années 1980, transmis à l’homme par les singes – il s’était rallié à l’idée que le danger provenait moins de la maladie elle-même que de sa vaccination préventive – certains soutenaient même que l’affection avait été inventée par un laboratoire et que le vaccin était seul responsable de sa diffusion !
Aujourd’hui, il regrettait – comme des milliers d’autres – ce choix conspirationisme : il sentait son corps peu à peu se paralyser, inexorablement …
Post-scriptum
Pour cette nouvelle – mais est-ce une nouvelle – s’intitule-t-elle : Une brève histoire d’amour … alors qu’elle ne parle que de mensonges et de pouvoir ?
En fait, ce titre ne serait-il pas qu’une … Fake News de plus ? Pour attirer un chaland un peu fleur bleue ? Et un ultime hommage à Hawking … en forme de pied de nez !
Les ouvrages des Mardis du Luxembourg, aux éditions Kawa :
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