Besoins d’espace pour nos sociétés. Métropoles, Espace & Souveraineté | Space’ibles Days 2018 | 05/12/2068

Space’ibles, l’Observatoire de Prospective Spatiale, initiative du CNES (www.spaceibles.fr), vient de finir sa deuxième année de travail. Les participants à Space’ibles travaillent autour de cinq thèmes : « Jusqu’où l’homme est-il prêt à aller pour conquérir l’Espace ? », « Gouvernance, débris & enjeux juridiques », « Métropoles, Espace & Souveraineté », « Produire dans l’Espace » et « Vivre au quotidien dans l’Espace ». Cette année de travail s’est fini, en convention, les 7 et 8 novembre 2018, à Strasbourg. Cet article et 4 autres rendent compte des travaux des ateliers pour l’année écoulée. Ils ne sont pas des prises de position définitives mais des appels au dialogue sur lesquels construire les prochaines réflexions.

Article également publié dans le Huffington Post


La Commission Européenne Informatique et Liberté (CNEL) devrait statuer dans la journée sur un éventuel démantèlement du Groupement des Villages Digitaux (GVD). Voilà des années que les associations civiques s’inquiètent de l’état de la concurrence, des libertés individuelles dans les “Stations”, ces villes opérées par la compagnie GVDIl faut reconnaître que ces nouvelles formes d’agglomérations, sorties du champ traditionnel de la gestion des territoires pour devenir des zones franches privées, réduisent la “puissance publique” à sa portion congrue.

Mais qu’est-ce que le Groupement des Villages Digitaux ? Dans les années 30, ce Groupement est né de la fusion de gestionnaires de stations de ski et de parcs d’attraction. Cette entreprise est devenue, en quelques années, un opérateur économique et territorial majeur, au point d’inquiéter certains états européens.

Peu avant le milieu du siècle, ce qui allait devenir le GVD était pourtant sur le point de disparaître. L’entreprise risquait d’être une des premières victimes du réchauffement climatique alors qu’elle en avait été l’une des grandes bénéficiaire. Si, à cette époque, les stations de ski accumulaient les pertes, années après années, faute de neige, dans le même temps, les grandes métropoles devenaient invivables, subissant des températures plus que caniculaires, sur des périodes de plus en plus longues. Les systèmes et réseaux urbains en tout genre n’avaient pas été conçus pour de telles conditions : surchauffes, pannes à répétition obligeaient les pouvoirs publics à limiter, entre autres, l’usage de la climatisation. Le tout réduisait fortement la productivité des salariés. Les entreprises ont cherché des solutions. Certaines ont été tentées par le troglodytisme en enterrant la majeure partie de leurs activités. D’autres, et particulièrement celles des services, ont directement envisagé de se déplacer, le plus souvent hors des zones urbanisées.

C’est dans ce contexte que le Groupement des Villages Digitaux a osé un pari industriel extrêmement audacieux : transporter les villes à la montagne. Arguments chocs : un climat tempéré et des infrastructures disponibles et peu chères. Alors, bien sûr, de gros efforts structurels ont été consentis comme, par exemple, la mise en place de flottes de véhicules autonomes à haute vitesse pour désenclaver les “stations”, adaptation et démantèlement des infrastructures dédiées au ski désormais désuètes (ce qui n’était pas pour déplaire aux organisations environnementalistes), maillage des réseaux à haut débit… mais surtout mis en place des infrastructures et des services qui aujourd’hui posent question.

Pour attirer ses clients, le GVD commença par déployer des services qui faisaient des Stations, ces villages d’altitude, de véritables villes intelligentes, comme on les appelait à cette époque, des lieux complètement tournés vers les usages digitaux. Mais, pour plus de services, il fallait plus de données. Dans cet environnement propriétaire, le GVD en est devenu le collecteur, puis l’exploitant. Le Groupement a su valoriser ces données, apprenant ainsi à contrôler toute la chaîne de production d’une société humaine en voie de dématérialisation. Ainsi, un virage stratégique a été subtilement opéré : de services facilitant l’implantation de ses clients, le GVD est devenu opérateur de villes quasiment privées, avec un niveau d’intégration sans équivalent.

Dans les premiers temps, calquées sur le modèle de gestion des parcs de loisirs — modèle déployé à une échelle industrielle — les Stations ne suscitèrent aucune inquiétude à la société civile. Elles s’inscrivaient dans un mouvement général, celui des fusions des vieilles communautés de communes en teknonpole (littéralement ville fille), par opposition aux métropoles (ville mère). Les grandes villes et autres communautés de tailles raisonnables avaient développé leur expertise dans la gestion des données au fur et à mesure de l’arrivée à maturité de ces technologies. Pour les petits acteurs publics locaux, la problématique de la compétence technique et humaine est apparue avec la création de ces teknonpoles qui les faisaient changer d’échelle beaucoup plus tardivement.

Fort de son expérience dans les Stations, le GVD s’est rapidement imposé comme un partenaire incontournable des Teknon(pole)s : le GVD leur apportait son expertise dans la gestion des données tout en se spécialisant également dans la valorisation de ces mêmes données… à tel point que le GVD a su s’imposer à la barbe des GAFA. Ce développement est devenu tellement intégré — indissociable, diront ses détracteurs — qu’aujourd’hui, beaucoup s’inquiètent d’une forme de privatisation des pouvoir publics locaux. Bien sûr, les services proposés sont qualitatifs et suppléent l’absence — chroniquement dénoncée — de la puissance publique bien qu’il semblerait que le GVD exploite les données de façon à conserver sa clientèle captive de ses offres.

L’avis de la Commission Européenne Informatique et Liberté a été requis. La question posée est simple : En cas d’incapacité de contrôle du GVD, faut il le démanteler ? Instantanément, une autre question émerge : Cela est-il encore possible, sans s’embourber dans des procès qui pourraient durer des années ?

En réalité, les Stations et les Teknons ne fonctionnent pas comme des villes qui utilisent des acteurs indépendants. Ces agglomérations digitales sont comme des corps dont tous les organes sont inextricablement liés par la construction et la gestion même des flux de données qui sont leurs indispensables. Ces données sont au coeur de la vie de ces corps, irrigant chaque service, chaque besoin de l’économie locale, de l’emploi, de l’habitat, permettant d’opérer la distribution de l’énergie, des transports… tous ces services procédant des bons offices du GVD.

Alors, au nom de la démocratie et des libertés individuelles, la Commission Européenne Informatique et Liberté osera-t-elle recommander la dissolution du Groupement des Villages Digitaux, signifiant par là-même la fin d’un champion européen de l’économie digitale ?

 


Les articles conçus pour les Space’ibles Days :


Lien vers le numéro spécial « Space’ibles Days 2018 » de Futurhebdo

Lien vers le numéro spécial « Space’ibles Days 2017 » de FuturHebdo

 

5 déc. 2018