Intelligences artificielles 3D spécialisés dans la finance, des miltoniens exercèrent leurs talents longtemps après le décès de leurs propriétaires milliardaires.

Au début du XXIème siècle, les avatars n’étaient que de simples icônes destinées aux interfaces de communication. Grâce à l’intégration progressive de l’intelligence artificielle, de l’informatique diffuse, des environnements virtuels évolutifs et de la vidéographie 3D, ils muèrent en intelligences artificielles en trois dimensions et assistèrent remarquablement leurs alter egos de chair dans des domaines comme la recherche-analyse sémantique, la traduction interactive en temps réel, la réalisation de documents multimédia, la planification de tâches, la gestion domotique, la géolocalisation, la logistique, la réservation de titres de transports, la prise de rendez-vous, l’alerte médicale préventive ou urgente, l’activation d’un ascenseur ou d’une porte de garage. Pour peu qu’il dispose d’une interface intelligente sous la main – écran tactile, omniphone mobile, oeil bionique, nano-écouteur sans fil, etc – n’importe quel cybernaute peut librement interargir avec son double virtuel en toute quiétude.

L’Organisation Mondiale de Gestion des Identités Numériques et Interactives obligea les citoyens enregistrés – 83% de l’humanité – à modeler en détail leurs hyperavatars conformément à leur physionomie réelle régulièrement morphobiométrisée au micron près depuis leur naissance. Veillant au grain, les redoutables programmes-patrouilles de l’OMOGINI limitent drastiquement (mais pas complètement) l’usurpation identitaire. Néanmoins, dans un cadre familial, relationnel ou professionnel restreint, l’apparence des hyperavatars est sujette à une plus grande liberté.

Peu à peu, les sociétés financières et les cabinets de services juridiques développèrent des hyperavatars de gestion patrimoniale et financière, leurs fonctions s’étendant du dépôt testamentaire à la spéculation boursière. Surnommés « miltoniens » en hommage à l’économiste ultralibéral et monétariste Milton Friedmann, ces hyperavatars effectuent de colossales analyses quantitatives, agrègent les moindres données économiques et financières – directement issues de la presse mondiale, des places boursières, des cabinets d’expertise comptable et d’audit financier, des fonds d’investissement, etc – produisent de pertinentes synthèses multimédia en quelques millisecondes, prennent de plus en plus d’initiatives quand ils ne devancent pas celles de leurs propriétaires. Constamment interconnectés, interdépendants et actifs 24h/24, les miltoniens sont à la fois les canaux et les filtres primaires de quasiment toute l’information économique planétaire.

Peu après le krach boursier d’octobre 2057, les brigades financières découvrirent que de nombreux miltoniens attribués à des milliardaires et à de grands spéculateurs exerçaient encore leurs talents malgré le décès de leurs propriétaires depuis plusieurs décénnies. Les héritiers et les conseillers financiers entourant ces richissimes défunts ne comptaient guère se priver d’une manne aussi prolifique que durable. Avec la contribution intéréssée de brillants hackers, ils développèrent des hyperavatars pirates à partir d’anciennes versions de programmes-patrouilles et de codes-sources miltoniens notablement réputés. Purs mutants algorithmiques leurrant à la perfection la surveillance et les checkpoints de l’OMOGINI, ces traders-fantômes ne génèrent qu’une infinitésimale et ultra-complexe traçabilité électronique et disséminent leurs activités dans un brouillard numérique invisible. Aujourd’hui encore, maints experts en cybersécurité et en délinquance financière doutent fortement de leur réalité.

Les malfrats biologiques furent condamnés à la privation partielle/complète à vie de leurs droits électroniques et de leurs hyperavatars personnels. Les malfrats virtuels et leurs créateurs ne furent jamais identifiés ou pistés. À ce jour, le montant global de leurs placements financiers est évalué au minimum à 300 trillions d’eurodollars.

© Charles Bwele

8 janv. 2009