De l’ADN et du prédictif au rabais | DISRUPTION (2/13)

Tableau de Carol Galand


Une série de 13 chroniques sur la médecine du futur.

A suivre tous les vendredis.


Avec Watson[1], l’outil d’intelligence artificielle utilisé par le jeune médecin, IBM avait réussi à se placer au cœur du marché de la médecine curative, déclenchant d’immenses espoirs pour les gens. Il est vrai que le procédé était révolutionnaire, il consacrait le règne de la technologie du 21ème siècle, pour le plus grand bonheur des personnes atteintes de pathologies graves. Tout au moins pour celles et ceux qui avaient la chance d’être nés dans un pays riche doté d’un véritable système de sécurité sociale pour tous. Car ces traitements coûtaient terriblement cher. Mais qui n’allait pas applaudir des deux mains ?

Toutefois, on pouvait aller plus loin, essayer d’anticiper les pathologies probables ou possibles en fonction de l’ADN et du dossier médical du patient, ceci afin de mieux cibler les examens et donc de réduire les coûts. En détectant les facteurs de risque, qu’ils soient génétiques ou épigénétiques, c’est-à-dire liés à l’environnement global du patient, son alimentation, son mode de vie, il devenait possible d’anticiper l’apparition de certaines pathologies et de prévenir, et donc d’améliorer les chances de guérison. Ceci était particulièrement vrai pour les cancers les plus connus, le diabète ou pour les maladies cardiaques ou pulmonaires. Combiner ADN, historique du dossier et mode de vie était la solution du futur, celle qui permettrait de mieux prévoir et de soigner à moindre coût. Même si d’immenses progrès restaient à accomplir, comment aurait-on pu envisager une stratégie santé au 21ème siècle sans intégrer ce qu’on appelait déjà la médecine prédictive ?

Plus facile à dire qu’à faire, car si en 2025 le séquençage du génome était assez bien abouti, son interprétation laissait encore de vastes zones d’ombre. Au mieux, on parlait en « pourcentage de risque de développer telle ou telle pathologie ». Le résultat n’était pas très convaincant, il pouvait même devenir inquiétant :

« Bonjour, nous avons fait une étude de votre ADN, vous présentez un risque de 67% de développer Alzheimer et un autre de 78% pour un diabète. Pour le reste, tout va bien, rien que des facteurs de risque insignifiants, tous inférieurs à 50%. Voilà, ça fait 199 dollars ».

Evidemment, aucun praticien sérieux n’aurait pu tenir de tels discours. Mettre une telle information à l’état brut entre les mains de personnes non informées était évidemment particulièrement irresponsable. Mais pourtant, au nom du « droit de savoir » et de la liberté individuelle de connaître son génome, dès 2006, une société américaine, 23andMe, avait été autorisée par la FDA[2] à commercialiser sur Internet des tests génétiques pour un prix variant entre 99 et 999 dollars. Sans aucun encadrement médical. 23andMe était une filiale de Google, ou plus exactement de sa maison mère, Alphabet. Le nom était bien trouvé, le chiffre 23 faisant référence au nombre de chromosomes.

La plupart des pays européens, dont la France, avaient interdit la libre commercialisation de ces tests génétiques, mais en septembre 2026, en vertu des traités de libre échange, les compagnies américaines, Google en tête, obligeaient l’Europe à ouvrir le marché des tests ADN.

Mais que faisait donc Google dans le monde de la santé ?

 

Les tests ADN

L’ADN constitue un élément majeur du prédictif, mais il faut aussi prendre en compte le mode de vie de chacun. Une personne présentant des prédispositions à un diabète aura sans doute plus de chances d’éviter le développement de la maladie si elle est attentive à son alimentation et si elle a une activité physique régulière. Les outils d’analyse prédictive peuvent vous sauver la vie, mais ils peuvent aussi vous la gâcher. Le scénario décrit plus haut, dans lequel vous recevez un mail avec votre facture de 199 dollars et des informations sur  la probabilité que vous avez de développer telle ou telle autre pathologie est parfaitement possible aux Etats-Unis.

Analyser l’ADN, n’est-ce pas jouer au Démiurge ? Veut-on vraiment connaître l’avenir ? Avec la nouvelle technologie CRISP-Cas9[3], il devient possible d’intervenir sur le génome. Mais sous quelles conditions doit-on, peut-on s’autoriser à modifier l’embryon, au prétexte que celui-ci présente un risque de développer une pathologie ? Ne va-t-on pas être tentés de multiplier les tests ADN, sur l’embryon, sur l’adulte ? Et s’il devient possible d’intervenir sur le génome, qui ne sera pas tenté de chercher à « l’améliorer » ? Dans quelles conditions, pour en faire quoi, au profit de qui ?

En attendant, avec sa filiale 23anMe, Google est en train de constituer la plus formidable base de données sur l’ADN et deviendra rapidement un acteur incontournable du domaine de la santé.

A suivre : santé et numérique, pour le meilleur ou pour le pire ?

 

Textes extraits et adaptés par Jean-Pierre Galand du livre du même auteur

« Cette délicieuse odeur de pain grillé, 2084, cauchemar technologique ? »

 à paraître en souscription sur Ulule du 15/09 au 31/10/2020.

https://fr.ulule.com/une-delicieuse-odeur-de-pain-grille

 

[1] Marque déposée IBM

[2] FDA : Food and Drug Administration. L’organisme américain en charge du contrôle des médicaments et des aliments.

[3] Technique mise au point en 2012 par deux chercheuses, Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, En simplifiant à l’extrême, il s’agit d’outils biologiques. CRISPR est une molécule d’ARN qui permet de cibler une séquence d’ADN spécifique et de la couper. Cas9 est une enzyme.

 

CALENDRIER

1 INJECTION 22 mai 2024 – l’IA contre le cancer 6/09/2020
2 DISRUPTION

Septembre 2026 – de l’ADN et du prédictif au rabais

11/09/2020
3 CONNEXION

Novembre 2029 – lorsqu’on préfère assurer les gens en bonne santé

18/09/2020
4 OBSESSION

22 mai 2032 – la Sécu recommande le port d’un bracelet connecté

25/09/2020
5 CONGESTION

2035 – La pré-consultation médicale en ligne devient incontournable

2/10/2020
6 VIOLATION

21 juin 2037 : le génome, objet commercial ?

9/10/2020
7 REGENERATION

2040 – pour 80 000 $, le droit à vivre un peu plus encore

16/10/2020
8 OBLIGATION

2040 – lorsque l’analyse ADN sera incontournable

23/10/2024
9 SELECTION

2048 – du préventif à l’eugénisme

30/10/2020
10 AMELIORATION

2050 – le « droit au bonheur »

6/11/2020
11 AUGMENTATION

2060 * mille fois plus intelligent

13/11/2020
12 DESTRUCTION

2080 – tel un Deus ex machina

20/11/2020
13 HOLD-UP

2020 – un mauvais rêve ?

27/11/2020

 

11 juin 2020