L’arme idéale est celle qui n’est pas visible, pas encore visible sur un champ de bataille » déclarait le général Westmorland. Constat que reprend un autre général américain aux origines françaises, Frank Louvier, dans un rapport resté longtemps confidentiel sur les évènements qui ont marqué le conflit Russie-Ukraine dans les années 20.

« Pendant des décennies les gouvernements considéraient que l’importance des échanges économiques empêcheraient une guerre avec l’idée que l’interdépendance croissante des nations amoindrirait leur propension à se combattre ». En 1993, Alvin Tofler faisait part de son scepticisme dans son livre « Guerre et contre-guerre, survivre à l’aube du XXIe siècle ».

Dans cet ouvrage puissant et perspicace sur les guerres du XXIe siècle, Alvin Tofler proposait une autre façon de penser. Pour lui, pour le général Louvier, une guerre moderne ne peut se déployer avec succès avec les armes du 20e siècle. Dans un monde saturé d’informations plus ou moins fiables, la guerre n’est plus l’exercice de la force brute, elle est devenue celui de la furtivité, de la tromperie, de la ruse.

L’arme du futur est celle de l’invisibilité, reprend le général américain, celle venue de nulle part, le « tueur » qui vole au-dessus de vous, qui, en quelques secondes, perturbe les télécommunications de l’adversaire, rend inopérants les réseaux satellites, bloque les échanges financiers, le fonctionnement des industries sensibles, les mécaniques et les asservissements des armements conventionnels.

Le conflit Russie-Ukraine aura été un conflit de type 2eme guerre mondiale : on se bat à l’ancienne, de la façon la plus sauvage, pour conquérir des territoires. Une guerre totale menée sur tous les plans qui tendent à anéantir « l’ennemi », à sa destruction massive sans devoir faire appel aux frappes nucléaires. Paradoxalement, les belligérants ont été piégés dans un conflit classique où les bruits des armes, les morts et les destructions massives dominaient le champ de bataille avec, en arrière-plan, l’omniprésence des médias pour faire participer les téléspectateurs au spectacle.

Les conflits modernes ne se gagnent pas avec des soldats sur-vitaminés, ni des technos de la deuxième guerre mondiale. Ni l’infériorité technologique ou numérique, n’ont été décisive dans les conflits durables en Irak, au Viêt-Nam ou en Afghanistan nous rappelle-t-il. Les conflits traditionnels opposaient des Etats, désormais des organisations mafieuses, terroristes sont, elles aussi, en mesure de faire la guerre à un Etat de droit modifiant le rapport traditionnel du faible au fort. En s’attaquant au « système nerveux » d’une nation des milliers d’attaques informatiques ont démontré la fragilité des infrastructures vitales (hôpitaux, aéroports, productions électriques, systèmes financiers, distribution de l’eau, etc.). Mettre un pays à genoux sans tirer un seul coup de canon devient désormais possible[1]. Pour le général américain dans sa démonstration, il aurait fallu que des attaques informatiques mettent à genoux, hors service des industries, des services, des administrations, des casernes, des plateformes logistiques dès le début de l’offensive russe. Il regrette que la cyberguerre n’ait pas été utilisée dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine pour l’empêcher.

Devenir invisible. Pour l’auteur du rapport, les armements du siècle à venir ne se voient pas, ne s’identifient pas, et même, sont de nature à limiter le nombre de victimes létales. Ils permettent de voir sans être vu. Frédéric le Grand commentant une de ses victoires sur un de ses ennemis français, observait : « Le maréchal de Soubise se fait suivre constamment par une centaine de cuisiniers. Moi, je me fais toujours précéder par une centaine d’espions ». Désormais ce sont des centaines d’yeux qui partent en reconnaissance, jouant les éclaireurs de tête afin d’identifier les points faibles, la faille dans la défense et surtout savoir l’état d’esprit de l’adversaire.

La supériorité tactique des armements sera donnée à celles des armes qui sont très difficiles, voire impossible à repérer : des armes furtives. Les armements, tanks, hélicoptères, navires, avions font l’objet de traitement de camouflage, d’autres tentent d’échapper à l’identification radar en diminuant de taille à l’exemple des robots téléguidés et, pour certains, en se « cachant » dans un brouillage magnétique engendrée par des générateurs de flux. D’autres innovations tendent à limiter la létalité des combats en infligeant à l’adversaire des malaises susceptibles de les rendre incapables de combattre.

Ces armes terriblement efficaces peuvent mettre en déroute la plus orgueilleuse des armées mécanisées et créer une telle confusion que l’agresseur s’effondre en quelques jours. C’est le chaos chez l’adversaire, la panique dans ses populations. Non, l’arme du futur ne sera pas nucléaire mais celle capable d’intrusion furtive et invisible pour mettre hors service les équipements des nations « ennemies », des virus sophistiqués en mesure de suivre des instructions activées à distance au moment venu.

La guerre Low cost. Le général Louvier pointe aussi du doigt un problème qui s’impose aux armées du 21e siècle et justifie un changement majeur dans les armements : leurs coûts. Ces dernières décennies les grandes puissances ont investi pour des armes dont le développement coûte un argent fou ! Une guerre des riches alors ?  Il parle d’armée low cost pour faire face aux besoins d’une défense moderne. Un seul avion de combat pèse entre 80 et 100 millions de dollars alors qu’une armée de drones quasi invisibles, formidable instrument de pénétration et d’observation, en coûte des milliers de fois moins. La guerre low cost oblige à multiplier des moyens économiques d’observation, capables de saturer des défenses conventionnelles et à multiplier les attaques furtives difficiles à anticiper. Des mines enterrées ou sous-marines indétectables pistant les navires ou les sous-marins hostiles et surtout des « drones bombing ». Ces mines volantes volent à très basse vitesse et à basse altitude pour ne pas se faire repérer par les radars ou pour se confondre avec l’empreinte d’un oiseau afin d’arriver sur cible avant d’être repérées.

Les états-majors devront utiliser les ressources et les moyens les plus économes en armements, en coûts d’engagement. Une obligation qui change radicalement les stratégies en cas de conflits alors qu’un peu partout dans le monde les armées conventionnelles découvrent que les armes artisanales ne sont pas moins mortelles que les plus sophistiquées.

L’armée du futur n’a pas beaucoup d’avions, pas beaucoup de chars mais des milliers de robots volants et rampants qui peuvent être lancés sur les lignes ennemies pour faire l’essentiel du travail du fantassin. Alvin Tofler utilisait l’image des « fourmis » pour parler des centaines de drones qui envahissaient l’espace aérien pour tromper les radars, saturer et brouiller les contremesures et attaquer massivement, cible par cible, les équipements ennemis. En sus des attaques informatiques d’autres propositions envisageaient de soutenir les troupes au sol équipées de lunettes spéciales par des nuages de brouillard artificiel pour désorienter l’ennemi ou encore des flash  EMP contribuant à saturer et faire dysfonctionner les équipements et les réseaux de télécommunications.

Soft War : l’ennemi de l’intérieur. La partie sans doute la plus marquante de son rapport est l’importance qu’il donne à la manipulation des populations.  Pour lui les innovations techniques les plus sophistiquées ne sauraient ignorer le plus grave : la manipulation cognitive. Les guerres modernes, nous rappelle-t-il, ne se gagnent pas sur les champs de batailles : elles se gagnent en mettant l’opinion de son côté. Il devient impossible de gagner une guerre sans le soutien du peuple. Il est impossible de gagner une guerre par la force brute. Les conflits du XXIe siècle sont devenues des guerres d’influence qui font douter l’adversaire, l’affaiblissent de l’intérieur. Les nouveaux types de conflits, même de basse intensité, peuvent devenir des guerres d’usure qui obligent à porter un regard nouveau non seulement sur le « out » mais aussi sur le « in » :  sur les « ennemis de l’intérieur ».

Les effets collatéraux des conflits en arrivent à faire plus de dégâts que les combats dans une société travaillée par des influenceurs, des manipulateurs. La « propagande » n’est pas nouvelle. Ce qui l’est, c’est la sophistication des actions de déstabilisation. Une guerre immatérielle, une guerre du soft War, une guerre des mots qui entend manipuler les foules, orienter les opinions, déstabiliser des gouvernements. Le point faible des pays démocratiques est la faiblesse de ses hommes, de sa société face aux nécessités des sacrifices à faire. L’ennemi de l’intérieur est le pire des adversaires, voilà pourquoi l’issue d’un conflit se joue sur la capacité de résilience de la population.

Au cours du conflit avec l’Ukraine les services secrets russes, qui ont la réputation d’être des champions de la manipulation des opinions, ont été à la manœuvre. On ne compte plus les victimes des « kompromats » organisés par les russes contre les personnalités ou les entreprises dérangeantes. Leur capacité à saturer les réseaux sociaux par des « fakes news », des infos manipulées en vue de tromper le naïf, le lecteur inattentif ou manquant de sources fiables est une arme redoutable. Leur habileté à mélanger le vrai et le faux pour orienter l’opinion est incroyable !

Sommes-nous à la hauteur ? Difficile d’ignorer la puissance malveillante du soft War. Sommes-nous à la hauteur, s’interroge le général américain. On peut regretter les faibles investissements des pouvoirs publics et des médias dans des actions spécifiques de contre-mesures vers nos concitoyens remarque Louvier. Alors que les Russes utilisaient habilement les réseaux pour influencer les sociétés en Europe et dans le monde, les ripostes occidentales sur les populations russes restaient inaudibles. On a préféré priver bêtement le citoyen russe lambda de MacDo, de relations, de voyages en le coupant de sources d’information libres. Piètre stratégie note le général qui s’interroge aussi sur le manque d’initiative des européens. Un moment il aurait été possible de souligner le dérangement mental réel ou supposé de Poutine dans son aventure guerrière, un flop sans continuité. Aucune autre initiative connue, comme d’affaiblir Orban, arbitre malveillant du conflit, en révélant que cet homme aux virages idéologiques opportunistes[2] pourrait être un agent russe.

La général Franck Louvier observe pour conclure que les téléspectateurs Européens piégés par leur goût du spectacle, moralement démobilisés par l’efficience de la soft-War russe, sont restés incroyablement passifs. Les outils, les médias, les moyens de communications ont alimenté leurs besoins d’information en sous estimant ceux des populations russes conditionnées par le pouvoir poutinien. Par contre la contre-propagande à la soft-War russe a été gravement déficiente et source de tensions sociales dans nombre de pays de l’union européenne.


Autres références : https://www.ettighoffer.fr/2595/la-strategie-de-pointe-dans-les-guerres-numeriques

https://www.ettighoffer.fr/4190/le-cyber-espionnage-enjeu-des-batailles-des-nations-savantes

[1] En 1999 déjà, un groupe d’experts du Pentagone, le Csis, estimait qu’une trentaine de hackers répartis sur la planète et doté d’un budget de 10 millions de dollars pourraient causer de très sérieux dégâts à la première puissance du monde (Netsurf)

[2] https://www.watson.ch/fr/international/pologne/842737326-comment-viktor-orban-se-met-a-dos-son-dernier-allie-la-pologne

7 sept. 2022