Le génome, objet commercial ? | VIOLATION (6/13) | 21/06/2037

Une série de 13 chroniques sur la médecine du futur.

A suivre tous les vendredis.


21 juin 2037

Le génome, objet commercial ?

 

Déjà, en 2027, en application des accords de libre-échange, les Etats-Unis avaient obligé les Européens à autoriser les assureurs à lier primes d’assurance  et objets connectés. Les nuages s’amoncelaient dans le ciel européen, n’allait-t-on pas maintenant imposer les tests génétiques lors de la souscription d’un contrat d’assurance ? La logique était imparable : on s’assure contre un risque potentiel, non contre un évènement avéré. Si ma maison brûle, je ne peux pas m’assurer contre l’incendie, si mon ADN révèle une pathologie, je ne peux pas m’assurer contre cette pathologie.

A cette date, les Etats-Unis étaient encore signataires de la Déclaration Universelle[1] sur le Génome, interdisant aux compagnies d’assurance l’utilisation des données génétiques, mais on sentait déjà une grande fragilité car la Déclaration limitait l’exploitation commerciale que l’on pouvait faire du génome, ce qui n’arrangeait pas les milieux d’affaires américains. De nombreuses voix s’élevaient pour sortir de ce qui était considéré par les industriels de la santé comme un véritable carcan.

On sentait bien que les petits arrangements entre amis allaient permettre de faire sauter quelques verrous. Le Big Data et la génétique n’étaient pas là uniquement pour alimenter les conversations de salon. La pression des industriels montait un peu plus chaque jour, la Déclaration Universelle sur le Génome était un véritable obstacle à l’esprit d’entreprise et aux affaires. A l’article 6, elle précisait :

« Nul ne doit faire l’objet de discriminations fondées sur ses caractéristiques génétiques, qui auraient pour objet ou pour effet de porter atteinte à ses droits individuels et à ses libertés fondamentales et à la reconnaissance de sa dignité ».

 

Bien sûr, les Etats-Unis n’étaient pas ce pays barbare comme certains voulaient bien essayer de le faire croire, et chaque Américain était bien convaincu que la dignité de l’homme était un droit inaliénable. Mais devait-on pour cela interdire aux compagnies d’assurance de proposer des contrats associés à des tests génétiques ? Puisqu’il était déjà admis qu’une personne souffrant d’une pathologie déclarée ne pouvait pas obtenir les mêmes conditions que les autres, que déjà les tests médicaux lors de la souscription d’un contrat d’assurance étaient autorisés et même incontournables, alors, pourquoi ces tests ne comporteraient-ils pas un volet génétique ?

Certains estimaient que si les personnes à risque devaient passer ce type de tests, ce devait être uniquement dans un but thérapeutique, et qu’il devait être strictement interdit d’associer les résultats à un contrat d’assurance. L’ADN étant une loterie, pour les questions de santé, tout le monde se devait d’être solidaire.

D’autres considéraient que la santé était une question individuelle, que, sauf à utiliser les techniques modernes de fécondation in vitro pour éviter de transmettre leur pathologie, les couples porteurs de risques génétiques ne devaient pas faire d’enfants, que dans le cas contraire ces enfants ne devaient pas être à la charge de la société mais à celle des seuls parents, que chacun était libre de s’assurer ou non, et qu’il était normal de payer en fonction de son état de santé. Evidemment, ceux-là avaient vérifié que leur génome ne comportait pas de mutation pouvant entraîner une pathologique grave.

La bataille faisant rage, l’article 4 de la Déclaration stipulait que « le génome en son état naturel ne peut donner lieu à des gains pécuniaires », ce qui n’était pas en ligne avec l’esprit d’entreprise néo libéral. En 2037, les Etats-Unis sortaient de la Déclaration universelle sur le Génome.

Les vrais sujets de société mettent longtemps, très longtemps à arriver sur la scène. On commençait seulement depuis quelques décennies à évaluer le désastre climatique, il allait falloir encore beaucoup de temps pour éclairer un peu l’immense trou noir dans lequel le monde se précipitait.

 

[1] Adoptée en 1997 par l’UNESCO et 1998 par l’ONU. Il s’agit d’une déclaration de principe, non contraignante, signée par 80 membres, destinée à définir un cadre éthique des activités de recherche et des applications relatives au génome. Il y a en effet de fortes barrières culturelles, plus particulièrement entre des pays comme le Royaume Uni ou les Etats-Unis et la plupart des pays européens, les premiers ayant une approche beaucoup large que les seconds en matière d’applications de la génétique.

http://portal.unesco.org/fr/ev.php URL_ID=13177&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html

 

Textes extraits et adaptés par Jean-Pierre Galand du livre du même auteur

« Cette délicieuse odeur de pain grillé, 2084, cauchemar technologique ? »

 Actuellement en souscription sur Ulule du 15/09 au 31/10/2020.

https://fr.ulule.com/une-delicieuse-odeur-de-pain-grille

 

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