De notre correspondant à Shanghai
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L’entreprise Laura DiDiablo, leader mondial des sextoys connectés, se diversifie et lance un collier intelligent capable de révolutionner la séduction amoureuse et la manière dont nous interagissons. Bien sûr ce produit pose questions. Le point avec notre envoyé spécial au China Electronics Fair de Shanghai, Narcisse L. Pardalis. 

Plus besoin de présenter le China Electronics Fair de Shanghai, son importance, la foule, l’animation, le bruit. Celui-ci est définitivement devenu la référence pour les passionnés de nouvelles technologies. Et le stand qui cette année fait le buzz est celui de l’entreprise Laura DiDiablo.

L’entreprise qui vend depuis un demi-siècle des sextoys High-Tech a décidé de fêter en grandes pompes ses 50 ans de présence au salon. Une belle revanche et une fierté pour une entreprise dont les premières participations au défunt Consumer Electronic Show de Las Vegas n’étaient pas vraiment assumées par les organisateurs.

Le sujet d’un tel enthousiasme ? Le TellMe : un détecteur d’émotions à la présentation raffinée qui se porte tel un collier. D’après Laura DiDiablo ce collier permettrait de déterminer avec près de 85 % de certitude si l’on plait à quelqu’un ou non dans un rayon maximal de 10 mètres. Ce qui permet d’initier des jeux de regards, jeux qui, de tous temps, ont tenu une belle place dans la séduction.

Le principe : lorsque le porteur du collier est proche d’une personne qui est attirée par lui, celle-ci va émettre de façon consciente et inconsciente des signaux (phéromones, expressions faciales, regard, gestes…). Le bijou va capter et analyser ces signaux selon un algorithme tenu secret puis restituer l’information sous forme d’une vibration au niveau du coeur du porteur. Celle-ci augmente en intensité plus la personne attirée est proche. Il va de soi que si les deux personnes portent un TellMe, le taux de certitude est bien plus élevé.

Les dernières avancées technologiques – nano capteurs et calcul quantique entre autres – ont rendu possible la réalisation de ce produit qui combine beauté et valeur, comme nous l’explique avec un plaisir non feint Hortense Horcase, Directrice commerciale et marketing : « nous voulions créer le meilleur produit possible pour permettre aux gens d’avoir une vie toujours plus épanouie. Pour cela, nous avons travaillé avec les plus grands industriels du high-tech et du Luxe. Les relations ont été difficiles à certains moments mais le jeu en valait la chandelle car le résultat est un bijou unisexe, élégant et utile qui peut être porté en toutes occasions, avec…et bien sûr sans vêtement », nous dit-elle dans un sourire.

Tout cela est confirmé avec enthousiasme par Barbara, jeune latino-américaine éleveuse d’IA dans une société high tech de l’Union de la côte Ouest regroupant la Californie, le Nevada, l’Oregon et Washington. Elle est une grande fan du TellMe qu’elle porte depuis que des amis le lui ont offert pour son anniversaire. Celui-ci lui a apporté énormément de confiance en elle. « Je n’ai pas un physique facile. Mes parents me l’ont constamment rabâché quand j’étais petite. Ce collier m’a permis de réaliser que je plais, maquillée ou pas, bien habillée ou pas, fatiguée ou pas. Ce produit m’a libéré en me permettant de changer le regard que je portais sur mon corps. Maintenant je vis une relation polyamoureuse épanouissante. Je me sens belle, fière et sexy en toutes circonstances. Et ça n’a pas de prix ». Rappelons que pour le reste, il y avait Mastercard.

A l’inverse pour les intellectuels du collectif NeoDominio, le TellMe n’est qu’une prison supplémentaire comme l’explique Angela Black, philosophe, psychologue, écrivaine, 2ème femme à avoir obtenu le Prix Nobel de Littérature et porte-parole du collectif : « Je suis obligé de reconnaître que le TellMe donne de l’assurance, c’est indéniable. Mais il me semble que c’est un bien pour un mal car il révèle que malgré les évolutions de la société nous sommes toujours autant soumis à l’impératif de plaire et d’être accepté par le groupe. Plutôt que de nous asservir au regard de l’autre, à chercher son approbation, ne vaudrait-il pas mieux s’en libérer définitivement ? »

Le produit est également à l’origine de situations cocasses. C’est ce qu’a vécu un de nos confrères, Maxence Grivo. Alors qu’il couvrait une manifestation pour la défense du modèle familial traditionnel, pour le compte du magazine Nouvelles Masculinités, celui-ci s’est rendu compte qu’il plaisait à un des hommes politiques présents dans la manifestation, qui lui aussi portait un TellMe. Dans le fond, rien à signaler, si ce n’est que cette personnalité publique est connue pour défendre ouvertement des positions homophobes…  Grivo n’étant pas grivois, l’identité de cet homme restera secrète.

Ce qui nous amène au sujet sensible de la confidentialité des données et des risques de sécurité. Même si la compagnie assure que les technologies utilisées rendent quasi impossible une attaque, la Commissaire Européenne au marché numérique a demandé à l’Agence Fédérale pour la Sécurité Informatique et la Protection des Données (AFSIPD) de procéder à un examen complet du dispositif et de lui fournir un rapport d’ici la fin du mois. C’est l’autorisation de commercialiser le produit sur le marché européen qui est jeu.

L’entreprise doit également faire face à des turbulences sur son marché domestique. L’Attorney General de l’Union de la côte Ouest fait état d’une recrudescence des plaintes pour violences sexuelles dans les transports en commun. En portant un TellMe, les auteurs de ces agressions considèrent l’attirance de leur victime comme un blanc-seing pour passer à l’acte. Consciente du risque, la société a axé sa communication sur la différence entre attirance et consentement et sur la dénonciation du toujours vivace « il-elle le voulait, il-elle le cherchait » !

Ces menaces juridiques ne semblent inquiéter ni la société Laura DiDiablo ni ses concurrents. La marque a profité du salon pour annoncer le lancement d’un diadème complémentaire au TellMe d’ici la fin de l’année. Celui-ci mesurera l’activité des zones cérébrales impliquées dans l’attirance (cortex occipital, cortex temporal…) afin d’améliorer la fiabilité du dispositif. Tandis que le leader mondial des vêtements connectés explore la piste du bonnet, du tee-shirt et des chemises, destinés à une clientèle ayant de plus modestes revenus.

Si ce marché attire autant, c’est parce que les perspectives de développement sont très excitantes à en croire Sar Chi, chef de département au sein du cabinet d’études O’Delphes : « Nos analystes artificiels ont calculé que les principaux marchés pour cette catégorie de produits sont la Chine, l’Inde et le Japon car ils sont perçus comme des moyens d’optimiser ses chances de créer une famille. Ce qui, dans ce régions, demeure un fait culturel très important. Ils sont donc bien acceptés. Et avec près de 2,5 milliards de personnes, le marché est gigantesque. A l’inverse dans les états de la Bible Belt Américaine et dans les pays Moyen-Orientaux, le contrôle des mœurs pose la question de leur acceptabilité par les pouvoirs publics. Concernant l’Europe, la séduction fait partie des codes sociaux. Les rapports entre les hommes et les femmes se sont égalisés et apaisés au cours du demi-siècle écoulé, par conséquent le besoin d’un produit comme le TellMe est moins exprimé ».

Les investisseurs ne s’y trompent pas : la valeur de la société a dépassé le milliard de dollars depuis son dernier tour de table. Ce qui en fait la première licorne de l’histoire à avoir troqué sa corne pour un sextoy.

 

Narcisse L. Pardalis est très intéressé par les nouvelles technologies, notamment celles qui présentent un risque ou qui peuvent être difficilement acceptées par les consommateurs. Après un parcours dans le conseil en innovation, il a décidé de devenir journaliste et prospectiviste.

 

9 mars 2020