Marché Virtuel, une approche de la chasse à l’ère de la simulation | 01/06/2067

Un nouveau type de supermarché a vu le jour. Il correspond à une forme de demande provenant de consommateurs convaincus de la nécessité pour leur santé de faire leurs courses différemment. Une étude récente a démontré que le confort excessif était une source d’altération mentale et physique qui pourrait mener à une dégénérescence de l’espèce humaine dans les prochains siècles. Des chercheurs en anthropologie de l’université de la Sorbonne ont mis en lumière l’intérêt pour les humains de se ressourcer dans des simulations pour stimuler des fonctions primitives de leur psychisme. La chasse aux bêtes féroces était selon eux un exercice crucial dans la construction de la psyché humaine. Les hommes préhistoriques sont souvent présentés comme des exemples qu’il faut imiter pour retrouver un équilibre émotionnel et psychique. Si la chasse demeure une activité très répandue sur Terre, le nombre de personnes des sociétés développées se nourrissant de cette manière demeure peu élevé. Avec la consommation de masse, la viande se trouve dans des supermarchés et aucun effort n’est nécessaire pour se la procurer.

La chaîne Marché Virtuel s’est inspirée de ces théories pour mettre en place de nouveaux services. Pour obtenir de la viande, il faut la mériter, et abattre les animaux virtuellement. L’équipement permettant une immersion virtuelle très réaliste plonge les consommateurs dans des simulations d’environnements naturels. Ils font l’expérience de la chasse dans des lieux et périodes variés. Ils peuvent chasser l’ours au Moyen Age en Europe, le mammouth en Sibérie, ou le lion en Afrique avec des armes du lieu et de l’époque choisis, ou bien laisser libre cours à leur imagination et tuer les animaux virtuellement avec des armes issues de scénarios de science-fiction. De nombreux consommateurs sont séduits par cette formule. Ils peuvent s’inscrire au Marché Virtuel pour la durée de leur choix et partent avec la viande réelle provenant de leur chasse virtuelle. La viande d’animaux disparus coûte plus cher mais est disponible grâce à la chimie et à la création d’animaux modifiés génétiquement.

Si les opposants à la chasse ont manifesté leur opposition à des pratiques qui pourraient réactiver la violence chez des consommateurs qui furent pacifiés ces dernières décennies, Marché Virtuel bénéficie du soutien des scientifiques et des utilisateurs. La plupart des grandes chaînes de supermarchés se dotent de salles immersives dans lesquelles la pratique de la chasse virtuelle joint l’utile et l’agréable. Les fleuristes sont aussi intéressés par cette pratique. S’il est possible de se procurer de la viande après une session de simulation, il est aussi envisagé de proposer la cueillette de fleurs et de légumes. Le retour à la nature grâce à la simulation devrait éviter à l’Humanité de sombrer dans une psychose collective dans des sociétés dans lesquelles la technologie et l’innovation ont rendu obsolètes des pratiques pourtant fondamentales.

Les simulations présentes dans les Marchés Virtuels ont été expérimentées par l’armée. Le but était de former des soldats à la chasse d’animaux capables de survivre sur des exoplanètes. Dans les 50 prochaines années, le peuplement d’autres mondes est envisagé. Pour se nourrir, les colons humains devront créer des écosystèmes adaptés aux conditions de vie loin de la Terre. Les animaux qu’il est prévu d’implanter devront être chassés par les colons. Les militaires ont donc créé, avec l’aide de nombreux centres de recherche, des espèces nouvelles que les soldats ont rencontrées dans les simulations. Les expériences ont montré que les plus aguerris étaient capables de se nourrir avec le produit de chasses qui n’auront plus rien de virtuel à l’ère de la colonisation d’autres planètes.

L’expérience de Marché Virtuel s’est inspirée de ces tests militaires, en rendant les courses alimentaires ludiques. Les vertus psychiques de ce type de simulations sont cependant encore questionnées dans des débats virulents, certains opposants craignant une surenchère et une apologie de la guerre et de la barbarie à l’avenir, la civilisation des mœurs étant un acquis fragile qu’il convient de protéger, malgré les tentations offertes par les technologies de virtualisation.

© Thomas Michaud

31 mai 2017