Les drones de surveillance globale, une technologie réellement vertueuse ? | 11/09/2068

Une petite ville du sud ouest de la France fait depuis plusieurs années l’objet d’une expérimentation sociologique qui modifie profondément les habitudes et comportements de ses habitants.

Saint Eugène est la première ville dans laquelle les espaces privés et publics sont filmés en permanence par des caméras de vidéosurveillance, en fait des drones miniaturisés de la taille d’insectes dans le but d’évaluer le comportement des citoyens et de leur attribuer des récompenses et des brimades. Le but est d’éviter toute déviance, d’empêcher tout crime, et d’optimiser les comportements des villageois. Tout acte est filmé, et noté par un ordinateur central, mis au point et gérer par une équipe pluridisciplinaire constituée de représentants élus démocratiquement, mais aussi d’experts en technologie et en sciences comportementales, comme des psychologues et des sociologues. Des juristes élaborent une nouvelle forme de droit, établissant les comportements déviants et les sanctions légales à mettre en place pour les juguler. Chaque semaine, tout citoyen reçoit le résultat de ses évaluations. Ce document indique une note relative à son respect de la morale de la République Technocratique Planétaire, à son engagement professionnel, mais surtout à son comportement social et familial. Les drones miniaturisés ont fini par révolutionner l’organisation sociale en rendant tout comportement visible sur Internet. Une des applications de cette technologie fut l’éducation et la pédagogie. Les drones devaient à l’origine évaluer le comportement des parents vis-à-vis de leurs progénitures. Les parents jugés les plus respectueux du code moral républicain et obtenant les meilleurs résultats, par exemple des enfants aux notes et appréciations scolaires brillantes obtiennent des gratifications et sont favorisés dans leur carrière professionnelle et leur rémunération. A l’inverse, la surveillance globale permet de détecter les mauvais parents, par exemple violents ou peu impliqués dans l’éducation de leurs  enfants. Une notation faible peut mener au retrait de la garde et au placement en institution de substitution familiale, garante du reconditionnement moral et psychologique de jeunes au comportement potentiellement problématique pour la société. Le formatage des comportements grâce à la surveillance globale doit mener à une société pure et parfaite dans quelques années, quand toute la population aura intégré qu’elle doit devenir plus vertueuse pour faire évoluer positivement la société.

Saint Eugène était considéré comme un village sans histoire, mais l’essor de la statistique a démontré que sa jeunesse ne maitrisait pas suffisamment précisément certains codes républicains. Les drones ont pu enregistrer des milliers d’heures de discussions familiales et ont révélé la culpabilité des adultes, véhiculant notamment des propos extrémistes et radicaux à une jeunesse désorientée lorsqu’elle devait s’intégrer dans des systèmes moraux plus modérés. En analysant les résultats électoraux de cette bourgade, on constate historiquement des scores d’extrême droite et d’extrême gauche très élevés. Le ministre de la gestion morale a estimé que l’expérience de Saint Eugène était prometteuse et démontrait l’utilité d’une technologie qui a permis d’évaluer l’ampleur et l’efficacité de la rééducation idéologique de cette population pour éviter que des opinions extrémistes mènent à de nouvelles formes de dictatures. Rappelons que la France a connu une longue période de tension politique qui aurait pu mener à une guerre civile quand les extrêmes ont menacé la démocratie dans les années 2040. L’intégration de millions d’immigrés provenant de zones en guerre ou victimes du réchauffement climatique avait à l’époque généré l’expression de passions menaçant d’implosion la démocratie française et européenne. La pensée politique radicale a été jugée illégale et contraire à l’éthique démocratique. Le réseau de drones de surveillance devrait à terme permettre de réguler les passions et d’assurer la stabilité démocratique. Si quelques voix se sont élevées initialement contre l’utilisation totalitaire de cette technologie, elles se sont tues rapidement, probablement converties à un contrôle technologique de la population. Un groupuscule anarchiste nommé MAD (Mouvement Anti Drones) est pour l’heure le seul opposant à un système présenté comme une utopie réalisée par un grand nombre de spécialistes. Il n’est pas impossible que le MAD tente de saboter l’expérimentation de Saint Eugène, en parvenant à pirater le système de contrôle des drones, pires ennemis de la vie privée et des idéaux démocratiques. Pour le MAD, la situation est alarmante. Il est évident que le gouvernement tentera d’imposer un totalitarisme doux grâce aux drones miniatures de surveillance globale. Saint Eugène, devenu un modèle grâce à ce système technique, pourrait bien être la première étape vers un réseau étendu à tout le territoire national.  

11 sept. 2018