Jusqu’où l’homme est-il prêt à aller pour conquérir l’Espace ? | Space’ibles Days 2018 | 13/11/2038

Space’ibles, l’Observatoire de Prospective Spatiale, initiative du CNES vient de finir sa deuxième année de travail. Les participants à Space’ibles travaillent autour de cinq thèmes : « Jusqu’où l’homme est-il prêt à aller pour conquérir l’Espace ? », « Gouvernance, débris & enjeux juridiques », « Métropoles, Espace & Souveraineté », « Produire dans l’Espace » et « Vivre au quotidien dans l’Espace ». Cette année de travail s’est fini, en convention, les 7 et 8 novembre 2018, à Strasbourg. Cet article et 4 autres rendent compte des travaux des ateliers pour l’année écoulée. Ils ne sont pas des prises de position définitives mais des appels au dialogue sur lesquels construire les prochaines réflexions.


 

Les traités internationaux ont beau dire le contraire, les premiers à établir une colonie sur Mars en tireront des bénéfices très supérieurs à ceux qui suivront : ils choisiront les meilleurs sites, ils apprendront plus vite, ils disposeront d’un monopole au moins temporaire sur leurs découvertes… et, plus important encore, d’un monopole symbolique sur la « Nouvelle Frontière de l’Humanité ».

Pour s’assurer cette avance, en 2025, une alliance se noue entre plusieurs émirats pétroliers et certains des entrepreneurs les plus symboliques de la Silicon Valley, attirés par un environnement plus innovation-friendly – entendre, protégé de la curiosité des médias et de l’opinion. L’idée : investir massivement pour envoyer très vite des humains sur Mars, voire au-delà, malgré… ou à cause du risque pour les humains. Comment y parvenir ? En présentant le projet comme une quête spirituelle et les pionniers comme des héros auxquels l’Humanité devra son évolution, voire sa survie.

Le premier appel à candidatures, en 2026, attire des dizaines de milliers de réponses. Les 2000 candidats et candidates retenus présentent un profil bien différent de celui des astronautes habituels : beaucoup sont techniciens, mécaniciens, infirmiers…

L’entraînement des pionniers se déroule dans une cité construite dans le désert, Les quelques journalistes parvenus à s’y infiltrer le décrivent comme un mélange de préparation physique, de formation technique et d’endoctrinement quasi-religieux ; les élus en parlent comme de la chance de leur vie. On ne sait presque rien de ce qu’il se passe dans les laboratoires qui, dit-on, expérimentent des techniques d’augmentation de la résistance aux rayonnements cosmiques ou de survie en conditions extrêmes.

Grâce à un processus de développement ultra-rapide, baptisé lean spaceup, le premier vaisseau martien est lancé dès 2032 depuis Baïkonour, le pas de tir émirati n’étant pas encore achevé. La mission du « vaisseau-suicide », comme l’ont nommé les réseaux sociaux : atterrir sur Mars, y construire la première base humaine et y survivre aussi longtemps de possible, au moins pour accueillir la mission suivante, et au mieux pour embarquer dans un vaisseau de retour… dont les plans n’existent pas encore.

Comment répondre à un tel projet ? Le Cnes doit-il y participer – les enjeux financiers sont considérables – ou bien rester à l’écart ? Les médias et l’opinion publique se saisissent du sujet, les acteurs publics s’interrogent. Heureusement, le lieu pour en discuter existe : depuis 2019, l’Initiative Ouverte de Débat sur l’Ethique du Spatial (Iodes) de Space’ibles a engagé un dialogue continu avec les pouvoirs publics, les acteurs du spatial, les chercheurs et la société civile. Dès 2020, Iodes avait abordé la question des risques acceptables pour les humains engagés dans la conquête spatiale. Il n’a ainsi pas été pris de court par la question : en quelque jour, le Cnes, l’Esa et plusieurs autres agences spatiales dans le monde rejetaient le projet émirati et dessinaient ensemble un programme alternatif d’installation sur Mars, avant tout appuyé sur des machines autonomes.

Iodes s’est constitué autour d’une question de départ, « Jusqu’où l’Homme est-il prêt à aller pour explorer ou conquérir l’Espace ? », et d’un principe : engager une « conversation » éthique au long cours, avec toutes les parties prenantes, sans attendre des sollicitations ou obligations extérieures. La démarche se voulait résolument ouverte. Elle s’appuyait sur toutes sortes d’événements publics, se cherchait des alliés parmi les industriels, les universités ou encore les Centres de culture scientifique et technique. Elle proposait des méthodes, les testait et les documentait pour que d’autres s’en saisissent. Son site web gardait la trace des échanges et en proposait régulièrement des synthèses. Et une « Journée éthique » annuelle alimentait la construction progressive d’une base de principes éthiques, partagée à l’échelle internationale.

Iodes a également permis d’anticiper un autre type d’interpellation lié, cette fois, au changement climatique : « la Terre et les Terriens d’abord ! » – faut-il continuer d’allouer des ressources à l’Espace alors que la soutenabilité de la vie sur Terre est en question ? Là encore, un débat organisé avant que le sujet ne devienne pressant a permis de tracer un chemin compatible avec les urgences terrestres : priorité à l’observation de la Terre, frugalité des missions, partage des connaissances, restrictions sur le tourisme spatial et l’exploitation d’astéroïdes…

Quelques années plus tard, des milliers de jeunes ingénieurs sortent des écoles avec un bagage éthique autant que scientifique ; le Cnes et plusieurs dizaines d’acteurs du spatial se sont dotés de chartes éthiques ; et le spatial conserve un fort soutien dans l’opinion. Sans compter que de nombreux clients privés, eux-mêmes sensibilisés par leurs clients et employés, préfèrent s’adresser au Cnes qu’à ses concurrents à l’éthique moins affirmée.

KD

 

 


Les articles conçus pour les Space’ibles Days :


Lien vers le numéro spécial « Space’ibles Days 2018 » de Futurhebdo

Lien vers le numéro spécial « Space’ibles Days 2017 » de FuturHebdo

 

 

13 nov. 2018