Space’ibles, l’Observatoire de Prospective Spatiale, initiative du CNES (www.spaceibles.fr), vient de finir sa deuxième année de travail. Les participants à Space’ibles travaillent autour de cinq thèmes : « Jusqu’où l’homme est-il prêt à aller pour conquérir l’Espace ? », « Gouvernance, débris & enjeux juridiques », « Métropoles, Espace & Souveraineté », « Produire dans l’Espace » et « Vivre au quotidien dans l’Espace ». Cette année de travail s’est fini, en convention, les 7 et 8 novembre 2018, à Strasbourg. Cet article et 4 autres rendent compte des travaux des ateliers pour l’année écoulée. Ils ne sont pas des prises de position définitives mais des appels au dialogue sur lesquels construire les prochaines réflexions.


Article également publié dans le Huffington Post


Assiégée de toutes parts par les conséquences des dérèglements climatiques, l’humanité a eu du mal à accepter les efforts de moyens et les concessions environnementales qui lui étaient demandées afin de ne permettre l’envol que d’une minorité de nantis à destination des orbites terrestres et très vite bien au-delà ! Pour comprendre et surveiller le complexe écosystème terrestre, il fallait se rendre dans l’Espace. Ce n’était pour autant pas un blanc-seing accordé aux industriels qui lorgnaient sur les perspectives d’opportunités offertes par ces territoires à miner, à industrialiser !

La meilleure des politiques, la moins conflictuelle, a été, dans un premier temps, de développer des technologies utiles aux deux visions du développement spatial de l’humanité, « de l’Espace pour la Terre » et « de l’Espace pour un Espace durable », bien qu’elles s’opposaient sur la finalité de cette conquête spatiale. N’envisager de quitter la biosphère terrestre qu’au bénéfice de la Terre était un concept industriel qui avait du mal à coexister aux côtés d’un esprit pionnier qui n’était pas sans rappeler l’esprit de la Ruée vers l’or, de la fin du XIXème siècle. Et pourtant, développer des catapultes électromagnétiques qui réduisaient radicalement les pollutions atmosphériques avait tout pour séduire les partisans de « l’Espace pour la Terre », tout en arrachant à la gravité terrestre les tonnes de matériel dont l’industrie spatiale embryonnaire avait ardemment besoin pour se développer. De même, passer de la preuve de concept à l’application de l’ascenseur spatial allait dans le même sens : cette folie technologique permettrait aux êtres humains de voyager à moindre coût environnemental vers l’Espace. Si ce n’est que les gardiens de l’orthodoxie écologique s’interrogèrent sur ce soudain besoin d’une forte présence humaine dans l’Espace… à cette époque, les robots en pleine expansion auraient parfaitement pu être près d’une faible communauté humaine dans l’Espace, démultipliant à l’infini ses capacités. Et les robots voyagent très bien dans les catapultes…

Mais les entreprises privées issues du New Space avaient acquis suffisamment de parts de marché et de fonds pour se lancer à la conquête de l’Espace lointain – la Lune – et profond – Mars, la ceinture d’astéroïdes et au delà – promettant tous leurs grands dieux que partir n’était pas synonyme d’abandon et que les richesses collecter dans l’Espace seraient elles aussi au bénéfice de la planète Terre et de sa population.

L’ONU, pas au mieux de sa forme, tenta bien de réguler cette colonisation et son exploitation… mais les USA, soutenus par leur principale créancier, la Chine, s’opposèrent farouchement à cette ingérence. L’Europe, le grand promoteur d’un Espace au service de la planète ne fut pas suffisamment suivi par les autres nations spatiales pour pouvoir endiguer cette nouvelle politique. Après avoir longtemps toléré un passager clandestin, ceux qui souhaitaient ardemment un Espace industriel, l’Europe et ses partenaires devenaient à leur tour les glaneurs des subsides qu’ils pouvaient tirer de l’élan irrépressible qui poussait l’humanité au-delà de la biosphère terrestre.

Les « Spacedustrials » surent apaiser les angoisses des « Gaïécoligistes » : des parasols orbitaux furent déployés. Ils permirent de réduire le forçage radiatif à la surface de la Terre, ce qui, par effet de levier, augmenta l’impact des actions environnementales engagées par les humains restés sur le plancher des vaches. Les parasols orbitaux furent conçus pour apporter aussi une pierre à l’édifice des Spacedustrials : s’ils faisaient de l’ombre à la Terre, leurs surfaces éclairées par le soleil furent couvertes de panneaux photovoltaïques qui, enfin savaient convertir l’ensemble du spectre solaire en énergie électrique, énergie précieuse en orbite aussi bien que sur Terre.

Tous ces éléments et bien d’autres encore (le développement de nouvelles générations de piles nucléaires, l’arrivée d’imprimantes 3D multi-matériaux aux têtes toujours plus fines, la confirmation des technologies de propulsion mixte, descendantes des moteur Vasimr…) finit par provoquer la Singularité industrielle dans l’Espace (l’ISS, Industrial Space Singularity), ce moment à partir duquel, l’industrie spatiale ne dépendait plus du fret en provenance de la Terre. ISS : un petit acronyme non dénué d’humour qui allait avoir d’énormes conséquences sur l’avenir de l’humanité qui est notre présent. Pour la petite histoire, cette singularité plus conceptuelle que factuelle précéda de quelques décennies LA Singularité de l’émergence des IA conscientes et autonomes (ACES, Autonomous and Conscient Emergence Singularity)…

Aujourd’hui, produire dans l’Espace, être Spacedustrial n’a plus de connotation péjorative, évidemment pas sur Mars ou sur la station Arès qui gravite autour de la planète rouge, pas plus que sur Cérès que dans la ceinture d’astéroïdes… Sur Terre, envisager un entrepreneuriat spatial est devenu une démarche courante. Cependant, les partenariats public-privé qui ont présidé aux constructions des installations, les plus vastes que l’humanité n’ait jamais imaginé, semblent de plus en plus fragiles. Les secteurs privés à bord des stations spatiales semblent de plus en plus étriqués en regard des appétits définitivement insatiables des entreprises passées du statut de multinationales à celui de transsolaires, des géants qui plus que jamais sont en concurrence frontale avec des états. Ces derniers, cantonnés à la surface de la Terre, dilués dans une volonté de gestion internationale de l’Espace, arriveront-ils à tenir tête à ces nouveaux géants boostés aux stéroïdes de la finance spatiale et d’une spéculation à l’échelle du Système
solaire ? 

 


Les articles conçus pour les Space’ibles Days :


Lien vers le numéro spécial « Space’ibles Days 2018 » de Futurhebdo

Lien vers le numéro spécial « Space’ibles Days 2017 » de FuturHebdo

13 déc. 2018