Une série de 13 chroniques sur la médecine du futur.

A suivre tous les vendredis.


2060

Mille fois plus intelligent

Depuis toujours, les hommes cherchaient à se soigner, à améliorer leur condition, à augmenter leur espérance de vie, mais pendant longtemps cette ambition s’était heurtée à la morale, à l’esprit judéo chrétien des civilisations occidentales, à l’Eglise qui considérait que la maladie et les épidémies étaient des châtiments divins, qui disait « Dieu épargne qui il veut et l’homme n’a pas à contrarier sa volonté par ses interventions ».

Au milieu du 21ème siècle, non seulement on ne se posait plus ce type de questions, mais la « techno médecine » avait fait des progrès immenses. On pouvait anticiper la maladie, soigner, réparer le corps, fabriquer des prothèses, imprimer des organes en 3D[1], intervenir sur le cerveau pour rétablir les fonctions cognitives.

Certains se disait, mais alors, pourquoi seulement « réparer », pourquoi ne pas « améliorer » ? Pourquoi ne pourrais-je pas augmenter mes capacités physiques ou intellectuelles, même si je n’ai aucune déficience, simplement pour être plus fort, plus intelligent ?  Est-ce déraisonnable de porter un exosquelette si celui-ci me permet de me sentir mieux physiquement, même si je ne souffre d’aucune pathologie ? Est-ce déraisonnable de vouloir « rectifier » la Nature qui m’a donné un corps, un cœur, plus faible que celui de mon voisin ? Est-ce déraisonnable de vouloir améliorer mes capacités cognitives si la science venait à le permettre un jour ?

Au nom de quoi devrais-je accepter le dictat de la Nature si j’ai les moyens de le refuser ? La morale ? La religion ? L’éthique ? Quelle éthique, de quelle époque ?

Passer de la médecine réparatrice à une médecine dite « augmentée », la pensée transhumaniste avait franchi ce pas. Certaines associations défendaient un transhumanisme sans limite, dans un esprit ultra libéral, on les appelait les libertariens, d’autres militaient dans un esprit démocratique, d’égalité et de justice, expliquant qu’il fallait améliorer l’espèce humaine, mais que ces améliorations devaient être accessibles à tous.

Améliorer la condition de l’homme, de tous les hommes, quoi de plus raisonnable. Mais de quelles améliorations parlait-on, dans quel but devrait-on améliorer les capacités de l’homme ? Pour tous ? Pour quelques-uns ?

Une des figures les plus emblématiques de cette tendance était un professeur au MIT, conseiller de l’armée américaine, fondateur de l’association transhumaniste Humanity+, et directeur de la recherche chez Google : Raymond Kurzweil, en deux mots, un chercheur très respecté, aux objectifs très ambitieux[2] :

« J’ai toujours dit que 2029 serait la date à laquelle une intelligence artificielle réussirait un test de Turing[3] et égalerait donc un niveau d’intelligence humaine. J’avais fixé la date de 2045 pour la « Singularité », c’est-à-dire le moment où nous pourrons multiplier notre intelligence effective par un milliard en fusionnant avec l’intelligence artificielle que nous aurons créée »[4]

On ne peut pas être plus clair : rendre l’homme mille fois plus intelligent en le fusionnant avec la machine, voilà un objectif qui colle bien avec celui du cofondateur de Google, Sergei Brin :

« Nous voulons que Google soit la troisième partie de votre cerveau ».

La course à l’intelligence était donc ouverte, et il était préférable d’être aux côtés des meilleurs, ce qui était le cas de Raymond Kurzweil, à la tête de l’Université de la Singularité, un institut privé de formation réunissant les meilleurs étudiants et chercheurs pour préparer le futur, et dont le principal sponsor était évidemment Google. Une université élitiste, pour travailler sur les techniques d’amélioration de l’espèce humaine et créer des hommes mille fois plus intelligents. Un joli programme, un peu glaçant tout de même. Mais qui donc allait avoir l’honneur d’accéder à ce merveilleux statut de superman, ou superwoman ? Le bon peuple, ou ces quelques milliardaires ou chercheurs ? N’était-ce pas là les premiers signes évidents de la naissance d’une classe supérieure dominante ?

Gabor était un physicien Hongrois du 20ème siècle. Prix Nobel de Physique en 1979, il résuma sa vision du monde dans une formule que l’on appelle depuis la « Loi de Gabor » :

«Tout ce qui est techniquement faisable doit être réalisé, que cette réalisation soit jugée moralement bonne ou condamnable».

En substance, de toute façon, si vous ne le faites pas, un autre le fera, et prendra un avantage sur vous.

 

[1] Ces imprimantes d’un nouveau genre permettent de fabriquer des objets en trois dimensions ainsi que certains types de tissus humains ou prothèses. Elles sont destinées à se développer fortement, au lieu d’acheter un objet, on téléchargera un logiciel pour l’imprimer chez soi sur une imprimante 3D.

[3] Mathématicien britannique de la première moitié du 20ème siècle, Alan Turing a joué un rôle majeur dans le décryptage des codes de transmission allemands durant la dernière guerre. Il a imaginé un test, appelé depuis le « test de Turing », permettant de mesurer le niveau « d’intelligence » d’un ordinateur. Enfermée dans une pièce, une personne, le « Juge ». Dans une autre pièce, un ordinateur ainsi qu’une personne physique, n’intervenant pas sur l’ordinateur. Les trois ont une conversation. Totalement autonome, l’ordinateur est muni d’un système de synthèse vocal et d’un logiciel d’IA.

On dit que l’ordinateur remporte le test de Turing si plus de 30% des Juges ne savent pas dire qui est la machine et qui est l’humain.

[4] Propos repris par 01 Informatique dans son édition de mars 2017 – https://www.01net.com/actualites/ray-kurzweil-espere-la-fin-de-l-humanite-pour-dans-douze-ans-1125964.html

 

Textes extraits et adaptés par Jean-Pierre Galand du livre du même auteur

« Cette délicieuse odeur de pain grillé, 2084, cauchemar technologique ? »

 Actuellement disponible sur Ulule 

https://fr.ulule.com/une-delicieuse-odeur-de-pain-grille

 

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11/09/2020
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22 mai 2032 – la Sécu recommande le port d’un bracelet connecté

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2060 * mille fois plus intelligent

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