En son temps, procès parmi tant d’autre à la cour de Paris, ce procès qui, avec son délibéré, est désormais appelé le Procès du Transhumanisme, est devenus date-clé à bien des égards. Tout d’abord dans le fond : il s’agissait de juger, pour la première fois, d’une cyber-attaque ayant eu des dommages corporels. En 2039, Mark Tribun, Robin des bois des temps modernes, se revendiquant biorésistant, devait répondre d’accusations de cyber-terrorisme suite au hacking, en 2037, du site du Ministère de l’Intérieur de l’époque, attaque plus particulièrement ciblée sur le centre informatique qui gérait les e-cornées des policiers augmentés. Conséquence inattendue de ce hacking : la désactivation en masse des implants biomécaniques oculaires des fonctionnaires avec des effets, pour certains, qui devinrent des séquelles durables.

Pour ce qui est de la forme de ce procès, ce procès appliquait pour la première fois les nouvelles dispositions en matière d’applications des peines, reforme entrée en application quelques mois plus tôt avec les peines d’incarcération neurale, au moyen d’un contrôle technologique des activités cérébrales, procédé qui reste toujours controversé, et privation des droits numériques, c’est-à-dire une interdiction totale d’accès aux réseaux informatiques. Là encore, disposition applicable grâce aux dernières avancées technologiques.

Au cœur des plaidoiries avait en permanence planée l’ombre de la responsabilité de l’état. En effet, parmi les victimes, partie civile que représentait le cabinet Haas, se trouvait Cyrus Dini, un ancien fonctionnaire de l’état, un policier atteint de graves troubles de la vue, troubles acquis suite de la désactivation des e-cornées provoquée par l’attaque de Mark Tribun et ses acolytes, défendus, eux, par les cabinets Froment-Briens et Vigo. Les troubles furent considérés comme accident du travail car, pour exercer ses fonctions de policier, le policier n’avait pas eu d’autre choix que celui d’accepter l’implant, la e-cornée, dont c’était également le procès.

Ce procès est devenu symboliquement le procès du Transhumanisme car il amenait dans un prétoire des idées et des revendications qui, jusqu’alors, restaient habituellement déclarées en conférences, dans des grand-messes financées à coup de dollars américains par les GAFA de l’époque. C’est ainsi que pour la première fois était traitées les questions autour du statut de ces implants, qui trois décennies plus tard sont portées au quotidien par une grande majorité de français : ces implants étaient-ils part de la personne, ou objet extérieur à cette même personne car restant sous le contrôle d’instance extérieures elle : fabricant, opérateur, état… Pour mémoire, en 2039, la France ne comptait que 3,5 millions d’augmentés.

Ce procès posait également la question de la pertinence d’une application généralisée du progrès à la personne humaine, au risque de voir de graves inégalités apparaître entre les individus augmentés et ceux qui soit n’en avait pas les moyens, soit n’en avaient pas le désir. Conséquence inattendue au moment du procès : pouvait-il exister un droit au refus de l’augmentation, sans risque de discrimination à l’emploi avec, sous-jacent, la protection des plus faibles comme les enfants qui, à l’époque, pouvaient subir ces augmentations sans leur consentement, du fait de leur jeune âge. On pourrait enfin citer les questions autour des conséquences de ces augmentations qui, à l’époque, impliquait des amputations la plus part du temps sans possibilité de restauration de l’organe biologique.

Si la réquisition de ministère public avait demandé une application rigoureuse des nouvelles dispositions pénales, le délibéré du tribunal avait requalifié les accusations ouvrant à des peines moins lourdes. La présidence, sans enfermer le progrès dans un devoir de précaution qui aurait pu l’entraver, l’appelait tout de même à se mettre sous la loi d’un cyber-code qui restait à être rédigé et l’a bien été.

Trente ans plus tard, ces questions paraissent être celle d’un autre temps, car la réversibilité des implants est assurée par plusieurs dispositions comme le op-out, fonction informatique qui, à la demande de l’utilisateur, désactive l’implant le ramenant à l’équivalent de la fonction biologique de base. Pour ceux qui le souhaite, le retour à l’organe biologique est aussi possible grâce au clonage d’organe mais surtout grâce à des interfaces biomécaniques et neurales bien moins invasives qu’au moment de ce procès.  Ainsi, le Procès du Transhumanisme a marqué l’entrée de ces technologies dans le temps long de la société, dans tous ses aspects : arrivée à maturité des technologies, création des corpus législatifs, des jurisprudences et des instituons de surveillance et de protection adéquates, acceptation sociale avec le ralentissement du jeu de la spéculation marketing… Il n’en demeure pas moins l’obligation pour toutes et tous d’une vigilance civile que Mark Tribun ne renierait pas ! C’est en cela, que cette date du 22 juin est commémorée.

A voir : www.proces-du-transhumanisme.com

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22 juin 2017