Space’ibles, l’Observatoire de Prospective Spatiale, initiative du CNES (www.spaceibles.fr), vient de finir sa deuxième année de travail. Les participants à Space’ibles travaillent autour de cinq thèmes : « Jusqu’où l’homme est-il prêt à aller pour conquérir l’Espace ? », « Gouvernance, débris & enjeux juridiques », « Métropoles, Espace & Souveraineté », « Produire dans l’Espace » et « Vivre au quotidien dans l’Espace ». Cette année de travail s’est fini, en convention, les 7 et 8 novembre 2018, à Strasbourg. Cet article et 4 autres rendent compte des travaux des ateliers pour l’année écoulée. Ils ne sont pas des prises de position définitives mais des appels au dialogue sur lesquels construire les prochaines réflexions.

 


Article publié dans le Huffington Post :www.huffingtonpost.fr/olivier-parent/produire-dans-l-espace-spaceibles-days-2018_a_23625329/?utm_hp_ref=fr-futurhebdogest


Les clichés de la Terre pris lors de la mission Apollo 17, en 1972, ont participé à la prise de conscience que la planète n’était qu’un village pluri-planétaire… Aujourd’hui, les martiens, comme les habitants des autres foyers d’humanité éparpillés dans le Système solaire, se revendiquent plus que jamais ressortissants du village stellaire : la richesse des échanges commerciaux entre la Terre et toutes ses banlieues spatiales en sont le témoin.

Bien avant ce constat de réussite, les colonies terriennes ont longtemps été en quête de sens : si elles voulaient devenir pérennes, dégagées de tout soupçon d’égoïsme quand la Terre demeurait fragile face aux enjeux climatiques auxquels elle devait faire face, que devaient mettre en œuvre les héritiers des premiers colons qui, pour certains, avaient donné leur vie afin que le rêve d’Espace prenne corps ? L’autosuffisance matérielle est vite devenue comme une nécessité, non pas dans un esprit d’autonomie vis-à-vis de leur planète-mère, mais comme une condition sinequanone de la construction d’un projet durable d’humanité, à l’échelle du Système solaire. Cette autosuffisance a suscité sur Terre quelques frissons : n’était-elle pas en train de perdre aussi bien ses “enfants” que les ressources et les revenus liés à l’Espace ? Sans parler des moyens scientifiques et technologiques dont elle avait grandement besoin pour endiguer les dérèglements climatiques hérités des erreurs du passé…

L’histoire de cette autosuffisance a été marquée par un point de bascule ; ce moment-clé au cours duquel la toute jeune industrie spatiale n’a plus eu besoin d’arracher à la gravité terrestre matériaux et équipements. Cet instant atteint, on cessa de parler d’astronautes pour ne parler que de soudeurs, manutentionnaires, toubibs, managers et autres travailleurs ordinaires de l’Espace. Tous travaillaient dans des hangars, ou faisaient commerce dans des halles… spatiales. On se syndiquait pour faire respecter les conventions collectives… On faisait des rencontres, on s’aimait, des enfants naquirent sur Mars, en orbite de la Lune, dans la ceinture d’astéroïdes… Les plus pressés – et les plus aisés – purent circuler dans le Système solaire intérieur en terme de quelques dizaines de jours quand les trains de fret firent s’enchaîner les containers en provenance et à destination de tous les coins du Système solaire à des rythmes hebdomadaires…

Vivre au quotidien dans l’espace ne fut plus synonyme de danger. Vivre dans l’espace se revêtit des mille feux de la diversité humaine. C’est ainsi que les villages martiens, comme les stations orbitales ou les astéroïdes évidés, devinrent des lieux de vie riches de leurs particularités. Ce qui étaient la faiblesse de ces habitats outre-terrestres — tous ces lieux sont des écosystèmes clos — devînt leur force : après les premiers tâtonnements et nombre d’échecs, des équilibres ont été atteints, avec des caractéristiques biologiques uniques ouvrant à une nouvelle diversité. Sur un plan culturel, il ne fallut que quelques années pour qu’architectes et artistes changent le visage de ces installations conçues à partir de modèles d’urbanisation standards, créant ainsi de nouveaux styles. Tant et si bien que, sur Mars, comme ailleurs dans le système solaire, certaines villes envisagent de faire protéger leurs productions locales au moyen d’AOC…

Un fin connaisseur des milieux outre-terrestres saurait expliquer par le menu en quoi tel ou tel profil de dôme martien aura privilégié telle ou telle bactérie favorisant ainsi le développement d’un type particulier de sol qui produira des fruits et des légumes reconnaissables… Il pourrait tout aussi bien évoquer l’influence des espèces d’insectes ou des animaux implantés dans ces dômes, ou des mutations génétiques que ces organismes vivants auront subis, que ces dernières aient été volontaires ou non, car, il ne faut tout de même pas l’oublier : quitter la Terre c’est risquer, à un moment ou à un autre, des taux de radiations somme toute élevés !

La vie quotidienne dans l’Espace tend à devenir un état normal. Peut-être pas aussi normal que de vivre à la surface de la Terre… alors, l’humanité n’a-t-elle emporté vers les étoiles que le meilleur d’elle-même ? La présence des forces de l’ordre aux quatre coins du Système solaire nous rappellent que crimes et délits ont tout de même réussi à se glisser dans les bagages des migrants spatiaux… Et si crispations politiques et autres nationalismes avaient trouvé le moyen de faire de même, combien de temps l’unité du Système solaire durera-t-elle ? Combien de temps avant que Mars ou Cérès, ou même une station de l’espace profond, tous ces lieux forts et fiers  de leur autonomie matérielle, ne revendiquent leur indépendance politique ? Et quelle réponse apportera la Terre à cette requête qu’elle pourrait ne pas considérer comme légitime ?

 


Les articles conçus pour les Space’ibles Days :


Lien vers le numéro spécial « Space’ibles Days 2018 » de Futurhebdo

Lien vers le numéro spécial « Space’ibles Days 2017 » de FuturHebdo

22 déc. 2018