Ce que « ANIARA » nous dit sur demain | Space’ibles 2020
Deux ou trois choses que « ANIARA », le film de Pella Kågerman et Hugo Lilja, nous dit sur demain… 

« Dis-moi quel film tu regardes, je te dirai quel avenir tu te prépares », parole de prospectiviste…

 



Une production le Comptoir Prospectiviste / FuturHebdo
pour Space’ibles.fr


Les analyses prospectives des films sur le site de Space’ibles


Réalisation : Pella Kågerman et Hugo Lilja
Scénario : Pella Kågerman et Hugo Lilja
Acteurs principaux :
Emelie Jonsson, Bianca Cruzeiro, Anneli Martini, Emma Broomé, Arvin Kananian
Production/Distribution : Meta Film Stockholm AB/Kinovista
Durée : 106 min.
Année : 2018


 

Chronique d’analyse prospectiviste conçue en collaboration avec Space’ibles, l’Observatoire Français de Prospective Spatiale, initiative du CNES.

 


 

 

Le film Aniara, de Pella Kågerman et Hugo Lilja, est un film suédois. Il est surtout la chronique d’un désastre annoncé, celui d’un vaisseau spatial qui, malgré lui, devient un vaisseau interstellaire générationnel.

Tout commence par une banale traversée entre la Terre et Mars, dans un avenir proche sans être immédiat, en tout cas dystopique : le vaisseau doit emmener sa cargaison d’humains qui quittent la Terre dévastée par les dérèglements climatiques. Ce vaisseau spatial, l’Aniara qui donne son nom au film embarque des passagers qui se comptent peut-être en dizaines de milliers. 

Le vaisseau spatial Aniara, long et plat, ressemble à s’y méprendre à un centre commercial qu’on aurait arraché au sol de la Terre. Cette architecture suppose une technologie nouvelle de contrôle de la gravité qui, si elle n’est peut-être pas impossible, n’en demeure pas moins de l’ordre de l’improbable, dans l’état actuel des connaissances. En tout cas, à bord, tout est organisé pour offrir aux passagers une expérience inoubliable à destination de leur nouveau lieu d’habitation, Mars qui, dans le film, en est au tout début de sa terraformation. 

En admettant que l’on puisse mettre de côté le constat d’échec qu’est le fait d’avoir à abandonner notre planète-mère, la capacité, dans cet avenir, de rallier Mars en 23 jours, 7 heures et 25 minutes – précision glanée dans le film – change la place de l’humanité au sein du système solaire : ainsi, les humains du film, en partance pour Mars, se trouvent dans la situation des migrants qui, autour des années 1850, quittaient l’Europe à bord des premiers transatlantiques à vapeur. Ceux-ci ralliaient les Etats Unis d’Amérique en à peu près deux semaines. 

Dans cet avenir à l’évidence dystopique, l’humanité a étonnamment réussi à ne pas réduire ses capacités de recherche scientifique et technologique. On en a deux applications étonnantes : le vaisseau spatial Aniara, par sa taille et la vitesse qu’il atteint, et l’ascenseur spatial qui, au début du film, permet aux passagers d’accéder à l’Aniara. 

La traversée Terre-Mars, qui semble pourtant une simple routine, tourne au drame : à la suite à un accident inattendu, le vaisseau spatial, privé de ses moteurs, quitte sa route qui devait l’emmener vers Mars. Il file alors à 230 400 km/h dans la direction de la constellation de la Lyre, c’est à dire le long d’une trajectoire qui s’élève d’une soixantaine de degrés au dessus du plan de l’écliptique, ce disque décrit par la Terre au cours de sa révolution autour du soleil. Autant dire que la situation est loin d’être glorieuse : le vaisseau n’a pas la moindre chance de croiser un corps céleste massif pour tenter de modifier sa trajectoire, en jouant à la fronde gravitationnelle, et espérer ainsi retourner vers Mars ou la Terre. En effet, toutes les planètes du système solaire gravitent plus ou moins dans le plan de l’écliptique. 

Ne reste qu’une solution à cette fraction d’humanité : apprendre à vivre dans l’espace confiné du vaisseau spatial, en voyant ses espoirs de retour vers le système solaire s’amenuiser avec l’accumulation des mois, puis des années et enfin des décennies… Le commandant semble convaincu – a-t-il un autre choix ? – qu’équipage et passagers de l’Aniara peuvent bâtir une mini-civilisation à bord du vaisseau. Il énonce cette assurance dans une phrase laconique : “On s’est construit notre propre petite planète”. Dans cette phrase, le commandant exprime l’espoir de la survie de l’Aniara et sa cargaison d’humains : si ceux-ci réussissent à révéler l’extraordinaire défi de la survie puis de la vie dans un espace aussi restreint que celui du vaisseau Aniara, ils pourraient devenir une nouvelle branche de l’humanité. C’est en tout cas l’espoir auquel s’accroche le commandant, comme un rempart face au néant.

Au fil des années, la population de l’Aniara semble décroître au rythme des suicides par désespoir qui s’enchaînent plus vite que les naissances. Alors, les humains de l’Aniara se cherchent des raisons de continuer à vivre, dans les limites du vaisseau… sans l’éventualité d’une évacuation. C’est ainsi que les passagers de ce Radeau de la Méduse spatial commencent par se tourner vers la nostalgie du monde qu’ils ont laissé derrière eux. Ils sont aidés en cela par une intelligence artificielle, la MIMA qui génère de belles images de la Terre à partir des souvenirs des passagers. Au début du voyage, cette expérience n’intéresse que peu de personnes… mais, les jours, les semaines puis les mois de ce voyage hors de contrôle s’accumulant, de plus en plus de femmes et d’hommes viennent s’immerger dans la douceur de la réalité virtuelle générée par l’intelligence artificielle. Cependant, l’expérience finit par échouer : la MIMA, ne supportant plus le désespoir que chaque passager porte en lui, va s’autodétruire. A moins que ce ne soit un suicide ? Comme si cette intelligence non-humaine, à la porte de la conscience, avait été emportée par la désolation chaque passager ressent… comme si la MIMA était tout autant touchée que les humains par le décalage entre les images générées par les souvenirs idylliques et la réalité de la Terre ravagée par les dérèglements climatiques… 

Puis apparaîtront l’ivresse et les commémorations collectives qui tendent vers des formes de cultes idolâtres : pendant un temps, le sentiment religieux semble apporter un peu de réconfort à bord de l’Aniara… les autres orgies mystiques étant un bon moyen de stimuler la fertilité… même si, au final, l’arrivée d’un bébé n’apporte qu’une joie de courte durée… 

L’espoir renaît avec l’arrivée totalement inattendue d’une sonde de secours en provenance de la Terre. Tous, à bord, espèrent qu’elle contienne les moyens de modifier la trajectoire de l’Aniara pour le faire revenir vers le système solaire. Mais l’espoir ne sera que de courte durée : les humains sont incapables d’ouvrir la sonde. Cette dernière est dotée d’une technologie qui dépasse celle des ingénieurs, à bord de l’Aniara. En effet, la sonde provient de l’avenir du vaisseau : partie des années après que l’Aniara ait perdu le contrôle de sa trajectoire, la sonde — qui a été capable de rattraper le vaisseau qui se déplace pourtant lui-même à très grande vitesse — demeure un mystère technologique insondable. Ainsi, confirmant une fois de plus que “le pire peut toujours se produire”, l’état d’esprit, à bord de l’Aniara, s’enfonce dans le deuil de retrouver un jour la Terre ou d’arriver sur Mars.

Au travers de toutes ces péripéties, les questions que pose le film reviennent alors à s’interroger sur la finalité de l’humanité. Ainsi, suffit-il qu’un groupe d’humains soient rassemblés dans un espace clos pour qu’il y ait société ? Des prémices de l’humanité à la Révolution industrielle, les habitants de la Terre n’ont eu de cesse de découvrir une sphère sans pour autant avoir la conscience des ressources limitées de leur habitat. Le vingtième siècle aura été celui de la lente prise de conscience de ces limites. Ce même siècle aura été aussi celui de l’agrandissement de l’écosystème humain au-delà de la géosphère : l’Espace. Cet Espace qui peut offrir un nouveau terrain de l’épanouissement à une humanité qui, dès qu’elle atteint une frontière, s’empresse de tout mettre en oeuvre pour la traverser, la dépasser… à la recherche de la limite suivante.

Tant et si bien que les questions essentielles auxquelles l’humanité se doit de répondre sont : au nom de quoi cette expansion permanente ? Est-ce une quête insatiable de richesses ? A moins que cette expansion ne soit pilotée par un esprit impérialiste, pour imposer une politique, un modèle de société ? A contrario, l’humanité peut-elle s’imposer de ne pas s’étendre au-delà de cette nouvelle frontière ? Est-il réaliste d’envisager l’espace dans une perspective d’épanouissement global de l’humanité, sans mercantilisme, sans appropriation ? L’humanité a-t-elle encore vraiment le choix de son destin ?

 


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2 nov. 2020