OUTLAND ou « La SF même traitée comme un western spatial nous interroge » | Space’ibles Days 2019 | Ce que la SF nous dit sur demain
Deux ou trois choses que « OUTLAND », le film de Peter Hyams, nous dit sur demain… 
« Dis-moi quel film tu regardes, je te dirai quel avenir tu te prépares » parole de prospectiviste…


Une production le Comptoir Prospectiviste / FuturHebdo
pour Space’ibles.fr


Les analyses prospectives des films sur le site de Space’ibles


Réalisation : Peter Hyams
Scénario :  Peter Hyams
Acteurs principaux :
 Sean ConneryPeter BoyleFrances Sternhagen
Production/Distribution : The Ladd Company, Outland Productions / Warner Bros
Durée : 112 min.
Année : 1981


 

Chronique d’analyse prospectiviste conçue en collaboration avec Space’ibles, l’Observatoire Français de Prospective Spatiale, initiative du CNES.

 


 

Le film Outland, de Peter Hyams, fait partie de ces films de science fiction qui, discrètement, marquent pourtant profondément l’imaginaire collectif. Bien qu’il soit sorti en 1982, Outland propose une version de la vie au quotidien dans l’espace qui pose des questions qui n’ont toujours pas trouvé de réponses…

Dès son générique, en quelques phrases, le film Outland pose la problématique de la vie au quotidien dans l’espace. Par exemple, on y apprend que l’action se déroule sur Io, une des lunes de Jupiter. Et cette lune, de 3 640 km de diamètre, orbite autour de la géante gazeuse à une distance de 420 000 km. De manière un peu plus précise, Io est la plus proche de Jupiter des quatre lunes galiléennes, Io, Europe, Ganymède et Callisto. Elle fait le tour de Jupiter en 40 heures. Avec plus de 400 volcans en activité, Io est l’objet le plus actif du système solaire. Ses volcans, conséquences des forces de marée dues à la proximité de Jupiter, rejettent dans la petite atmosphère de la lune des composés de soufre dont les panaches s’élèvent jusqu’à 500 km d’altitude. Car, à la surface de ce satellite, un corps est soumis à une gravité équivalente à 1/6e de celle ressentie sur Terre, comme sur la Lune “terrienne”. 

Hélas, Outland, pas plus que n’importe quel film de science fiction qui se sont succédés jusqu’à ce jour, ne figure les conséquences de cet élément essentiel, la faible gravité. En effet, quels seront les gestes et les actions des humains qui, un jour, pourraient vivre à la surface de Io ? Ce pourrait pourtant être intéressant d’assister, dans son siège de cinéma, à une course poursuite en gravité faible ! Où d’un bond on peut parcourir près d’une dizaine de mètres… Mais le cinéma ne s’est pas encore attaqué à ce tour de force. Peut-être que cela enlèverait le côté trépidant d’un tel affrontement… Quoiqu’il en soit, les humains, dès qu’ils mettront le pied sur un corps céleste autre que la Terre, devront apprendre à vivre dans ces conditions de faible gravité. De Mars, avec son tiers de la gravité terrestre, aux diverses lunes que les humains croiseront dans le système solaire, ces derniers feront sûrement le choix raisonnable de s’installer durablement dans des environnements dont la gravité reste remarquable, sachant qu’en deçà de 2300 km. de diamètre, comme c’est le cas, par exemple, pour Pluton, il reste moins d’un quinzième de G… 

A propos de gravité faible, tout le monde garde en mémoire les images des différents équipages américains qui se sont succédés à la surface de la Lune, de juillet 1969 à décembre 1972 : engoncés dans leur combinaison plus ou moins rigides, les astronautes avancent avec prudence, par petit bons. On peut transposer ces gestes comptés dans un habitat pressurisé : prendre un gobelet ou un outil, reposer ce même objet… Il faudra une période d’adaptation. A l’évidence, ce sera moins compliqué qu’apprendre à vivre en microgravité… mais, à terme cela devrait concerner un nombre d’individus bien plus grand que les quelques centaines d’astronautes entraînés à se rendre dans l’espace depuis la moitié du vingtième siècle. Quel niveau de formation auront reçu ces personnes qui partiront pour être manœuvres, administratifs, infirmiers, chefs d’équipe, cuisiniers, qui partiront pour exercer leur métiers, pour gagner leur vie dans l’espace ? Les designers seront-ils sollicités pour concevoir les nouveaux objets du quotidien et du travail ?

Le générique du film indique aussi que la station minière reçoit la visite d’une navette une fois par semaine. Ce vaisseau provient d’une station spatiale dont on ne sait rien de plus que le temps de trajet entre les deux installations humaines : 70 heures, soit l’équivalent du voyage Terre-Lune des missions Apollo. Quand on sait, toujours grâce au générique, que la station minière abrite 2144 humains, on se doute bien que cette navette n’est pas un cargo de petite capacité. Il faut transporter les personnes qui vont et viennent d’une base à une autre : avec des contrats d’un an – information elle aussi issue du générique – et en fonction de cette rotation hebdomadaire, le vaisseau doit donc être capable de transporter au minimum une cinquantaine de personnes avec leurs bagages, hors personnel navigant. La navette apporte également tout le fret nécessaire à faire vivre ce gros village. Elle repart surtout avec les minerais extraits de Io par 1244 mineurs… On parle alors de plusieurs dizaines de tonnes qui, chaque semaines se déplacent entre ces deux installations humaines pour en assurer le bon fonctionnement.

Dans ce fret, on compte donc la nourriture. En 2014, un français adulte consommait en moyenne un peu moins de 1,5 kg d’aliments par jour. Ramené à la population de la station minière, cela représente une consommation hebdomadaire d’un peu plus de 22 tonnes d’aliments, sans parler des boissons. Quelle sera la proportion de cette alimentation produite sur place, sur Io ? Quelle autre viendra de la station spatiale, de la Terre ? Le film montre des serres qui malheureusement, dans le feu de l’action, vont être détruites… Là, des hydroponiques semblent produire des fruits et légumes qui doivent agrémenter l’assiette des hommes et des femmes qui vivent à la surface de Io. Tout cela, sans oublier que les plantes et les humains ont besoin d’eau. Or, d’après les étude actuelles, il semblerait bien qu’il n’y ait que peu ou pas d’eau sur Io : la proximité de Jupiter aurait été suffisante pour chasser les éléments volatiles de la surface de la lune, contrairement à d’autres lunes comme Europe ou Ganymède. Au cas où les humains décident de s’installer sur Io, faudra-t-il alors prévoir d’y importer de l’eau ? Charge à prendre en compte en permanence, car, même si la base sera sûrement construite sur un modèle d’écosystème en circuit fermé, il y aura toujours des pertes…

Dans le film, la présence humaine est justifié par l’extraction de titane du sol d’Io. Depuis que le film est sorti, les humains n’ont posés une sonde que sur Titan, la plus grosse des lunes de Saturne. Et la cartographie des ressources minières de ces lunes joviennes reste à être achevée… Donc, on laissera au réalisateur du film, Peter Hyams, et à son scénariste le choix d’Io et de ses hypothétiques ressources minières. Néanmoins, avec ses 2144 habitants, cette base pose d’autres questions : le générique précise que les 1250 mineurs sont accompagnés de 714 personnes qui ont la charge de la restauration, des loisirs, de la santé et autres fonctions… 180 autres personnes sont affectées à l’administration et à la maintenance de la base. On arrive tout de même à un rapport de plus d’une personne non productive pour un seul mineur… Etonnant, non ? Ces chiffres viennent-ils d’estimations terriennes ? Nul ne le sait… bien que ce rapport productif versus encadrement aura un impact très fort sur l’avenir de la présence humaine dans l’espace. Donc : question en suspend !

Reste à s’interroger sur ce qui a poussé ce petit bout d’humanité à venir s’installer sur cette petite lune, si loin de son berceau, à près d’un milliard de kilomètres, soit plus de 6 fois la distance Terre-Soleil… Dans le générique, on apprend que l’exploitation de la station minière est confiée à une entreprise privée sous mandat de la “Ligue des nations industrielles”. Est-ce à dire que dans cet avenir la lutte entre les nations est toujours vivace et que des lobbies de nations agissent pour tirer profit des ressources spatiales, comme le fit l’OPEP au cours de la deuxième moitié du XXe siècle pour les ressources pétrolières ? Quand au héros du film, l’officier de sécurité William T. O’Neil, joué par Sean Connery, de qui tient-il son pouvoir ? Le directeur de la station minière, chargé d’en assurer le meilleur rendement, ne se gêne pas pour rappeler à l’officier que le vrai patron, sur Io, c’est lui, le directeur… Et puis, qu’elle est cette station spatiale qui projette son ombre sur la station minière ? Est-elle une structure privée qui dépend de l’exploitant mandataire de la mine? A moins qu’elle n’appartienne à ces nations spatiales qui se sont organisées en ligue… Mais surtout : A-t-elle la taille nécessaire pour accueillir en son sein tous les humains qui travaillent dans des installations industrielles, en cas de rapatriement d’urgence ? D’ailleurs, la navette pourrait-elle être convertie pour embarquer un très grand nombre de personnes ? Ou bien, dans cet avenir, il est admis que la vie dans l’espace comporte des dangers qu’il faut assumer, au risque de la mort… toutes les éventualité ne pouvant pas être envisagées, “assurées”… En tout cas, les conditions de vie spartiates qui sont décrites dans le film vont dans ce sens, tout comme le florissant trafic de stupéfiant auquel l’officier de sécurité va s’opposer.

Ainsi, une fois entré dans le cœur du film, la situation que doit gérer Sean Connery pourrait trivialement se résumer au scénario d’un western digne de “Le train sifflera trois fois” : comme dans ce classique, l’action se déroule dans un village, la base, entouré d’un environnement hostile et désertique, Io et l’espace jovien. Comme dans le western, l’arrivée du train, la navette spatiale, va provoquer le climax de l’action du film, chacun et chacune se retirant en son domicile… Si ce n’est que dans le village jovien, la notion d’intimité y est réduite à sa plus simple expression : les lieux de restauration comme les sanitaires sont communautaires… il en est de même pour les dortoires : chaque lit n’est isolé des autres que par un parois de toile…. Il n’y a que les lieux de loisirs ou l’hôpital pour procurer un peu d’intimité… C’est dans ce contexte et dans l’indifférence générale que le “gentil” va faire face, seul, à des méchants bien décidés à se débarrasser de l’empêcheur de tourner en rond… 

Ainsi, la morale du film pourrait être que “déplacer l’homme dans un nouvel environnement ne le changera pas”. A l’opposé de techno-enthousiastes, un film comme Outland dit objectivement que l’homme partira à destination des étoiles avec tout ce qu’il est… avec ses passions et ses faiblesses, avec ses envies et ses rêves, et les conséquences qui vont de paires. Un film comme Outland appelle à une conquête spatiale qui ne soit pas pilotée que par la nécessité économique ou l’opportunité technologique. Il invite à une territorialisation de l’espace qui se développe au sein d’un indispensable cadre moral et donc juridique, que l’on parle de droit des personnes, des biens et des organisations. Alors, au moment de boucler vos bagages, n’oubliez pas d’y glisser un exemplaire de la dernière version du droit spatial !

 


 

Toutes ces analyses sont également rassemblées sur www.sciencefictiologie.fr, site dédié à la science-fiction qui  éclaire le présent, grâce à la plume, le crayon, l’objectif et l’œil des auteurs !

 


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6 nov. 2019